• A la recherche du temps perdu (Marcel Proust 1913-1922)

     

    Bouquet

     

    "Et tout d'un coup le souvenir m'est apparu. Ce goût c'était celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin à Combray (parce que ce jour-là je ne sortais pas avant l'heure de la messe), quand j'allais lui dire bonjour dans sa chambre, ma tante Léonie m'offrait après l'avoir trempé dans son infusion de thé ou de tilleul. La vue de la petite madeleine ne m'avait rien rappelé avant que je n'y eusse goûté ; peut-être parce que, en ayant souvent aperçu depuis, sans en manger, sur les tablettes des pâtissiers, leur image avait quitté ces jours de Combray pour se lier à d'autres plus récents ; peut-être parce que de ces souvenirs abandonnés si longtemps hors de la mémoire, rien ne survivait, tout s'était désagrégé ; les formes - et celle aussi du petit coquillage de pâtisserie, si grassement sensuel, sous son plissage sévère et dévot - s'étaient abolies, ou, ensommeillées, avaient perdu la force d'expansion qui leur eût permis de rejoindre la conscience. Mais, quand d'un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l'odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l'édifice immense du souvenir." 

     

    Marcel Proust (10 juillet 1871- 18 novembre 1922)

    A la recherche du temps perdu (publié de 1913 à 1927)

    Du côté de chez Swann (1913)

     

    Bouquet

    « A Bonneval...Grenade (Marcel Khalife) »

  • Commentaires

    30
    Jeudi 22 Novembre 2012 à 12:28

       

    29
    Jeudi 22 Novembre 2012 à 12:06
    Tu me combles tellement que je mets ma gêne au pieds et déguste le compliment ;-)
    28
    Jeudi 22 Novembre 2012 à 08:57

    c'est bizarre comme ça peut être différent d'une personne à une autre... Pour moi, il me faut faire vraiment un gros effort pour "re-créer" le souvenir d'une odeur. Ce doit être la même chose pour les sons, les aptitudes sont inégales d'un individu à l'autre. Bonne journée Margareth.

    27
    Jeudi 22 Novembre 2012 à 08:40
    Pour ma part j'ai une très bonne mémoire des odeurs au point parfois que cela frise l'hallucination. Par moment elles arrivent par bouffées, en particulier celles qui me rappellent la poudre de riz, les vieux parfums, les rouges à lèvres de vieilles tantes.
    26
    Mercredi 21 Novembre 2012 à 23:39

    oui Margareth, mais c'est tout de même assez rare de pouvoir se souvenir précisément d'une saveur et du parfum qui l'accompagne... (enfin pour moi, qui fixe plus facilement les images...)

    25
    Mercredi 21 Novembre 2012 à 23:38

    Jusqu'à ton écriture qui rappelle (parfois fugitivement) celle de Proust ...Je te promets que je suis sincère et que ce n'est pas vile flatterie 

    24
    Mercredi 21 Novembre 2012 à 20:17
    Les compositions photographiques aux airs surannés accompagnent merveilleusement ce texte dont la lecture et relecture ne lassent jamais tant ces instants décrits semblent appartenir aux souvenirs de tous.
    23
    Mercredi 21 Novembre 2012 à 20:05

    Ainsi, c'était votre amie à tous deux... j'avais bien vu tes mots de regrets et d'affection sur FB mais je n'avais pas fait le rapprochement avec ce très beau blog... 

    22
    Mercredi 21 Novembre 2012 à 20:04
    Oh merci Eva, tu m'émeus beaucoup, je t'embrasse fort
    21
    Mercredi 21 Novembre 2012 à 20:02

    Sais-tu que j'ai d'abord pensé à ton site... oui, c'est lui qui a le parfum de la madeleine... et c'est chez toi que j'aurais pu trouver les meilleures illustrations ! Voilà ! et je te dédie ce court extrait tellement connu ! Je t'embrasse Henri-Pierre

    20
    Mercredi 21 Novembre 2012 à 19:58
    Louis-Paul, c'était aussi mon amie et je lui ai rendu un petit hommage sur facebook, hier soir, lorsque j'ai appris son départ.
    Sa lumière nous manquera. Je suis très triste.
    19
    Mercredi 21 Novembre 2012 à 19:53
    Bravo Eva, tes compositions sont réellement proustiennes
    18
    Mardi 20 Novembre 2012 à 19:34
    Le passé continue à vivre aussi longtemps que nous le lui permettons.
    17
    Mardi 20 Novembre 2012 à 17:22

    avec plaisir Louis-Paul !

    16
    Mardi 20 Novembre 2012 à 13:08
    Je n'ai jamais lu cet ouvrage, mais je comprends bien ce sentiment de revivre un passé de le ressentir, le cerveau voyage dans le temps d'une façon extraordinaire !
    bonne semaine !
    15
    Mardi 20 Novembre 2012 à 09:01

    j'ai vu Louis-Paul, en effet, c'est un très beau blog... J'y reviendrai...
    J'ai vu aussi que tu as changé ta bannière ! à ce soir ! Bises et bonne journée 

    14
    Mardi 20 Novembre 2012 à 08:34
    J'ai oublié, merci pour le lien.
    13
    Mardi 20 Novembre 2012 à 08:33
    Elle était malade Eva et sans doute elle savait...

    Tu as son blogue en lien sur ma colonne de droite.

    Bises.
    12
    Lundi 19 Novembre 2012 à 23:49

    Dan, ne dis pas ça ! j'apprends à chaque instant...et je ne sais toujours rien ! et j'aimerais tant avoir plus de temps pour peindre, lire, écouter de la musique... un jour peut-être, peut-être un jour bientôt !

    11
    Lundi 19 Novembre 2012 à 23:47

    Grain ! quelle merveille !  profusion de couleurs et de parfums... Si je vais me coucher avec toutes ces fleurs, je vais me prendre pour la Chloé de Boris Vian ! 

    10
    Lundi 19 Novembre 2012 à 23:43

    Merci, merci pour ces belles lignes inspirées de la lecture de Proust... 

    9
    DAN
    Lundi 19 Novembre 2012 à 23:03
    Je n'arriverai jamais à faire des commentaires comme ceux qui je lis ici, sans doute ne me suis-je pas assez formé à la littérature ?
    • Nom / Pseudo :

      E-mail (facultatif) :

      Site Web (facultatif) :

      Commentaire :


    8
    Lundi 19 Novembre 2012 à 20:27
    oups j'ai signé Thami mais c'est grain!
    Pas grave je mets la suite

    Le chemin des aubépines

    Je le trouvai tout bourdonnant de l’odeur des aubépines. La haie formait comme une suite de chapelles qui disparaissaient sous la jonchée de leurs fleurs amoncelées en reposoir. Leur parfum s’étendait aussi onctueux, aussi délimité en sa forme que si j’eusse été devant l’autel de la Vierge et les fleurs, ainsi parées, tenaient chacune, d’un air distrait, son étincelant bouquet d’étamines, fines et rayonnantes nervures de style flamboyant comme celles qu’à l’église ajouraient la rampe du jubé ou les meneaux du vitrail et qui s’épanouissaient en blanche chair de fleur de fraisier.

    Combien naïves et paysannes, en comparaison, sembleraient les églantines qui, dans quelques semaines, monteraient, elles aussi, en plein soleil, le même chemin rustique en la soie unie de leur corsage rougissant qu’un souffle défait ! Proust
    7
    Lundi 19 Novembre 2012 à 20:16
    Les fleurs abondent dans A la recherche du temps perdu. En établir la liste, il y en a 372 espèces répertoriées, ne signifierait pas grand-chose. Mais si l'on tente d'organiser une classification des fleurs de Proust, alors on comprend que la botanique joue le rôle d'une métaphore qui, à l'instar de toute métaphore chez Proust, permet d'accéder à la vérité de l'oeuvre.
    La botanique, ici, est une autre manière de dire le bonheur ou la souffrance mais une manière où l'on voit partout du pollen, des tiges et des insectes pollinisateurs, des corolles, des graines et des membranes. A quoi rêve Swann devant sa haies d'aubépines ? Les joues des jeunes filles, si fraîches qu'on aimerait les croquer, ne ressemblent-elles pas à des roses ou à des géraniums ? Odette ne laisse-t-elle pas sur sa robe un pollen de cattleya pour tenter Swann ? Il y a aussi les fleurs de l'inversion, l'odeur enivrante du cassis, le rose sensuel de l'orchidée. Il y a la belladone et le datura, fleurs du sommeil et de la respiration, de l'asthme et de la mort promise.
    °
    Claude Meunier
    le jardin d'hiver de madame Swann
    Grasset
    6
    Lundi 19 Novembre 2012 à 19:43

    rien n'est ridicule quand on évoque le souvenir de quelqu'un qu'on aime... Les objets ayant appartenu autrefois à un être cher et disparu sont comme un fil précieux tissé au-dessus du néant... que dire d'un objet ayant appartenu à un aimé que l'on n'a pas connu ? Ce n'est plus un fil, c'est une chaîne d'airain... Bisous Danae !

    5
    Lundi 19 Novembre 2012 à 19:37

    en effet, "sur la lecture" est un très bel extrait Louis-Paul et j'ai retrouvé ce texte lu par Dussolier ici : http://www.paperblog.fr/4896467/sur-la-lecture-de-marcel-proust/

    ton anecdote est émouvante... elle me laisse toute songeuse... Existe-t-il des billets prémonitoires comme il existe des rêves prémonitoires ?

    4
    Lundi 19 Novembre 2012 à 12:41
    Je ne peux plus lire Proust maintenant sans avoir une grande pensée pour une amie des blogues qui avec un talent fou nous faisais partager ces "voyages dans les mots".
    Quelque temps avant de partir, elle avait publié cet extrait de la Journée de lecture, comme pour nous préparer:

    « Puis, la dernière page était lue, le livre était fini. Il fallait arrêter la course éperdue des yeux et de la voix qui suivait sans bruit, s’arrêtant seulement pour reprendre haleine, dans un soupir profond.
    Alors, afin de donner aux tumultes depuis trop longtemps déchaînés en moi pour pouvoir se calmer ainsi d’autres mouvements à diriger, je me levais, je me mettais à marcher le long de mon lit, les yeux encore fixés à quelque point qu’on aurait vainement cherché dans la chambre ou dehors, car il n’était situé qu’à une distance d’âme, une de ces distances qui ne se mesurent pas par mètres et par lieues, comme les autres, et qu’il est d’ailleurs impossible de confondre avec elles quand on regarde les yeux « lointains » de ceux qui pensent « à autre chose ».
    Alors quoi ? Ce livre, ce n’était que cela ? Ces êtres à qui on avait donné plus de son attention et de sa tendresse qu’aux gens de la vie, n’osant pas toujours avouer à quel point on les aimait, et même quand nos parents nous trouvaient en train de lire et avaient l’air de sourire de notre émotion, fermant le livre, avec une indifférence affectée ou un ennui feint ; ces gens-là pour qui on avait haleté et sangloté, on ne les verrait plus jamais, on ne saurait plus rien d’eux.
    Déjà, depuis quelques pages, l’auteur, dans le cruel « Epilogue », avait eu soin de les « espacer » avec une indifférence incroyable pour qui savait l’intérêt avec lequel il les avait suivis jusque là pas à pas. »

    Ce fût son dernier billet et je vais toujours régulièrement sur son blogue…
    Bises Eva.
    3
    Lundi 19 Novembre 2012 à 11:35
    Chère Eva, j'adore vraiment tes photos et tes bouquets de fleurs ! Oui quelquefois on se souvient de quelqu'un de cher avec un tout petit objet , trois fois rien. Pour ma mère j'ai gardé le morceau de tissu où elle enfilait ses aiguilles ! Tu vois c'est presque ridicule ! Bisous
    2
    Lundi 19 Novembre 2012 à 00:08

    à une période, j'avais un camarade de blog, peintre et Italien, qui m'avait dit beaucoup aimer Proust... J'avais été vraiment épatée qu'on puisse lire Proust sans vraiment maîtriser complètement la langue française... épatée, et admirative !...

    1
    Dimanche 18 Novembre 2012 à 22:24
    Toujours un plaisir renouvelé de plonger dans la recherche proustienne! Quand j'étais étudiant(début des années 70...), j'ai demandé conseil à mon prof de poésie pour me décider entre le nouveau roman et Proust. Il m'avait dit que les auteurs du nouveau roman n'arrivaient pas à la cheville de Proust.Et c'est ainsi que sur ma maigre bourse, je m'étais offert les 3 tomes de la pléiade. Une acquisition que je n'ai jamais regrettée.
    Bonne fin de soirée chal-heureuse!
    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :