• « Andreï Roublev » de Tarkovski

     

    « Andreï Roublev » de Tarkovski

     

    « Andrei Roublev »  d’Andrei Tarkovsky : l’enfer sur la Terre comme au Ciel

    Le moine-peintre Andrei Roublev prend la route de Moscou, où il est appelé pour décorer la cathédrale. Mais la réalité à laquelle il se heurte au cours de ce voyage font naître dans son esprit le doute et l’angoisse.

    Cet article est paru dans « Le Monde » du 21 novembre 1969. par Jean de Baroncelli

     

    A la fin de ce film admirable, d’une noblesse, d’une densité exceptionnelle, apparaît sur l’écran (un peu comme une citation) l’icône de la Trinité peinte par le moine Andrei Roublev dans les premières années du XVe siècle. Assis autour d’une table basse, trois anges aux ailes repliées semblent se reposer d’un mystérieux voyage. Plus encore que l’harmonie de la composition, c’est son intense spiritualité qui nous frappe. La paix, la bonté, une sorte de bonheur ineffable, accompagnent les trois visiteurs, dont les corps désincarnés ne sont pas de ce monde, sur les figures pensives desquels l’âme est à fleur de peau.

    Ce chef-d’œuvre de l’art russe nous stupéfie par sa maîtrise. Mais il révèle en outre la part secrète de l’homme qui l’a conçu, sa dignité morale, son profond idéalisme, sa foi dans les valeurs supérieures, bref, cette humanité et cet humanisme que nous ont fait précédemment découvrir les sombres et tumultueuses images du film d’Andrei Tarkovsky. Point final de ce film consacré à Andrei Roublev, l’icône de la Trinité en exprime, pourrait-on dire, la quintessence.

    Nous voici donc plongés dans la Russie du début du XVe siècle, une Russie soumise à des maîtres cruels et ravagés par les continuelles incursions des Tatares. Le moine-peintre Andrei Roublev, qui, comme Fra Angelico à l’autre bout de l’Europe, a entrepris de fixer sur les murs des églises son rêve d’un monde meilleur, prend la route de Moscou, où il est appelé pour décorer la cathédrale. Mais la réalité à laquelle il se heurte au cours de ce voyage, les scènes de barbarie et de bestialité dont il est le témoin, le meurtre qu’il est contraint de commettre pour sauver une jeune fille, font peu à peu naître dans son esprit le doute et l’angoisse. Devant cette suite affreuse d’assassinats, de viols et de pillages, il lui semble que l’enfer n’est plus à l’opposé du ciel, mais bien sur cette terre. Ne sachant dès lors quel message apporter aux hommes par sa peinture, il s’enfonce délibérément dans le silence et l’inaction jusqu’au jour où l’exemple d’un jeune garçon qui, par sa seule volonté, sa foi dans la vie et l’aide de ses camarades, a réussi à couler dans le bronze une cloche gigantesque, lui redonne le courage de poursuivre son œuvre... (« Le Monde » du 21 novembre 1969. par Jean de Baroncelli)

     

     

     

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  • Commentaires

    4
    Vendredi 21 Août 2020 à 15:25
    Henri-Pierre

    La pincée de levain qui fait gonfler la pâte

     

      • Samedi 22 Août 2020 à 14:05

        Aujourd'hui, je lis sur "le Monde" que "Saint-Sauveur-in-Chora", merveille de l'Art byzantin à Istanbul, redevient mosquée... ce qui veut dire que toutes les mosaïques et toutes les fresques -représentant des personnages- seront obligatoirement détruites... Mon coeur se brise

    3
    El duende
    Dimanche 16 Août 2020 à 17:11

    C’est un film qui remue les tripes à chaque plan à cause de l’univers de violence dans lequel Tarkowski nous plonge. Il y a ce silence de Roublev et ce vacarme alentour. Il y a cette dignité du moine et cet univers de folie, mort et violence constituent une sorte de trinité. Deux mondes opposés irréconciliables. Et pourtant, il suffit d’un seule posture d’amour  pour que l’espoir renaisse et pour racheter l’humanité. N’est ce pas le message du Christ? 

      • Dimanche 16 Août 2020 à 20:50

        Je suis une admiratrice absolue de Tarkovski. C'est un homme extraordinaire ! et donc un cinéaste extraordinaire. Les messages délivrés dans ses oeuvres sont multiples... Chaque film est une oeuvre à tiroirs que l'on ouvre et chaque tiroir est une évidence et une surprise à la fois. On peut regarder encore et encore un film de Tarkorvski et y trouver sans cesse de nouveaux messages. Le jeune Boris (le petit fondeur de cloche) est extraordinairement émouvant. Son père ne lui a rien transmis, il s'est réalisé tout seul... C'est le dernier message du film : on se fait tout seul, au risque de perdre sa vie. Si la cloche ne sonne pas, on meurt. Si le talent ne vient pas, on est oublié... définitivement. Le père de Tarkovski était un poète reconnu en Russie. Au début de sa vie de cinéaste on disait à Andreï qu'il était le fils du poète Tarkovski, à la fin, on disait à Arseni Tarkovski le poète, qu'il était le père de Andreï Tarkovski ! 

        Je commence à aimer l'âme russe et à la comprendre un peu grâce à Tarkovski. La pluie, la terre... si importantes...

        Déjà dans le film "Stalker" le message était un message d'amour. Le guide emmenait des malheureux en recherche d'eux-mêmes sur la Zone... tout en sachant qu'il le faisait en vain, parce que les visiteurs n'étaient jamais prêts à affronter leur vérité. Mais le guide poursuivait son destin de passeur, par amour, par devoir...

        Andrei Roublev ne cesse de remettre en question le sens de son Art... Peint-il pour Dieu ou pour les hommes ? Quel message apporter aux hommes par la peinture ? Pour Tarkovsky, le rôle de l'Art est "d'élever". Le film s'ouvre sur une séquence étonnante où l'on voit un homme essayer de s'élever à l'aide d'une montgolfière archaïque. Sa tentative est un échec qu'il paie de sa vie. A l'inverse, le film se termine par le jeune Boris qui met tout en oeuvre pour fonder une cloche monumentale, et qui représente pour Tarkovski la réussite d'un art "élévateur". Dans ce film, c'est le travail, l'appropriation de la nature elle-même qui permet "d'élever l'âme"...

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