• El perro de Goya

    El perro de Goya

     

    " Perro semihundido" (Chien à demi-enterré)

    1820 - 1823. Technique mixte sur le revêtement mural transférée sur toile, 131 x 79 cm. 

    L'ensemble des quatorze scènes auxquelles cette œuvre appartient est connue sous le titre de "Pinturas Negras" (peintures noires) en raison de l'utilisation de pigments noirs et aussi de la noirceur des sujets. Ils ont décoré deux chambres, aux étages inférieurs et supérieurs, de ce qu'on appelle la Quinta del Sordo (la Maison du Sourd) une maison de campagne à la périphérie de Madrid, à côté de la rivière Manzanares, acquise par Goya en 1819. Les photographies réalisées vers 1873 par le photographe français Jean Laurent (1816-1886), furent incluses pour la première fois dans le catalogue Museo del Prado de 1900. La maison a été démolie vers 1909. Les "Pinturas Negras" ont été peintes directement sur la paroi sèche (pigments mélangés à l'huile).

    Cette scène s'intitulait "Un perro", dans l'inventaire des œuvres du fils de Goya, établi à une date indéterminée, au milieu du XIXe siècle, par le peintre Antonio Brugada (1804-1863), à son retour d'exil à Madrid en 1832. Cette oeuvre est décrite pour la première fois, avec le reste des scènes, dans la monographie de Charles Yriarte sur l'artiste, de 1867, avec le titre de "Un chien luttant contre le courant". Elle décorait l'une des parois latérales dans le hall de l'étage supérieur de la Quinta del Sordo, avec une scène intitulée "Deux sorcières", attribuée par Yriarte à Javier Goya, plus tard acquise par le marquis de Salamanque et actuellement, non localisé. Cette oeuvre n'est pas décrite par PL Imbert dans son livre Espagne. Splendeurs et misères. Voyages artistiques et pittoresques, de 1876, qui visita la Quinta del Sordo en 1873, avant son acquisition par le baron Émile d'Erlanger. Dans le catalogue du Prado de 1900, il a reçu le titre de "chien à demi enterré".  Source : Musée du Prado 

    Quand il peint ce panneau, Goya n’est plus un peintre de cour. A 75 ans, atteint de surdité, il vit en reclus dans la « Quinta del Sordo » isolé du reste du monde. Autour de lui, c’est le règne de l’obscurantisme et de la persécution : l’Espagne plongée dans un chaos politique après l’invasion napoléonienne et le retour de Ferdinand VII, est loin d’être favorable aux artistes. Malade et déprimé, Goya peint 14 panneaux muraux à l’atmosphère sombre et angoissante, avant de partir en exil à Bordeaux où il meurt.

    Selon Yves Bonnefoy « Le chien est le seul de la série qui laisse apparaître de la compassion, comme si, se référant à un animal, il fallait se dissocier de tout discours convenu, de tout langage articulé, de tout cliché porteur de sens pour faire remonter le fond, un sentiment pur non fondé sur la raison et sans attendre de rétribution. »

    La puissance écrasante de cette image en fait un travail très avancé pour son temps : verticalité, traits violents, et unité chromatique. Des décennies avant l'expressionnisme, l'impressionnisme, le surréalisme et autres concepts avant-gardistes, "El Perro" est un chef-d'oeuvre qui joue avec la négation de la perspective, l'imprécision du tracé, et l'énorme liberté conceptuelle du résultat. 

    Tel que nous le connaissons "El Perro" suscite une intense émotion provoquée par l'attitude chargée de désespérance de l'animal. On peut interpréter "El  Perro" comme un auto-portrait du peintre espagnol lui-même, enfermé dans sa surdité qui l’éloigne hermétiquement et irrémédiablement du monde extérieur, oublié de ses contemporains et de ses amis au creux de sa petite « Maison du sourd ». Le corps pris dans les sables mouvants et les boues, Goya/le chien décrit sa lutte vaine contre les forces maléfiques qui l’entourent.  Mais...

    ...Lorsque la Quinta del Sordo a été vendue, les peintures murales ont été transférées sur toile, et très endommagées. Elles ont été alors photographiées avec les techniques précaires de l'époque et le résultat ne permet d'élucider qu'une partie de leur forme originale. Voici la photographie d'El Perro avant la restauration de la toile : L’original montre très clairement deux oiseaux au- dessus de la tête de l’animal. À l’inverse, ils ont été complètement effacés dans le tableau modifié. En dehors de la peinture même, le problème de l’interprétation se pose. «Le chien» représenterait une sorte de rêve désespéré sur un ciel éteint, sans vie. Les deux oiseaux pourraient changer la donne et remettre en question la classification du tableau dans les Peintures Noires.

     

    El perro de Goya

     

     source : /Goya-restaure-et-trahi-

     

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  • Commentaires

    9
    Vendredi 16 Février 2018 à 18:10

    "un perro", ce tableau, vide et plein comme un désert, m'a toujours fasciné avec un je ne sais quoi de tristesse mais aussi de bonheur pour cet hommage si sobre et si intense à un animal, à un être vivant.
    J'ai dû écrire quelque chose sur lui, mais je ne sais plus où ni quand...

      • Vendredi 16 Février 2018 à 18:50

        Henri-Pierre... j'aimerais tant lire ce que tu écris de cette oeuvre... Mais, c'est bien difficile de chercher sur ton blog, parce qu'il n'y a pas le petit pavé de recherche... Je tomberai dessus par hasard, peut-être...

    8
    Jeudi 15 Février 2018 à 09:33

    Comme cette histoire est intéressante ! Merci Eva

    En restaurant, il faudrait bien sur, se garder de faire oeuvre personnelle ! De Viollet-le-Duc à Pierrefonds à cette Espagnole restauratrice d'un Ecce homo du XIXème, que d'exemples ! Bonne journée à toi.

     

      • Jeudi 15 Février 2018 à 10:47

        Bonjour Nicole, les techniques d'aujourd'hui sont bien plus fiables qu'autrefois : on ne transfère pas une peinture murale ou une fresque sans précautions préalables. La vieille dame qui a "ripoliné" l'Ecce Homo est vraiment "un cas" !... Et puis, d'un pays à l'autre, les règles sont très variables... MAIS... l'histoire du Chien de Goya est si particulière que j'ai tenu à la partager... Le maladroit (?) en a fait une oeuvre tellement émouvante, tellement hors du commun, que personne ne lui en voudra... Bises Nicole :-)

    7
    Mercredi 14 Février 2018 à 14:28

    Triste. Mystérieux. Et très beau.

      • Mercredi 14 Février 2018 à 16:59

        C'est probablement l'oeuvre la plus étrange et mystérieuse de Goya (que j'aime tant)... On ne saura jamais si la peinture murale initiale était un message noir ou un message d'espoir. Merci Nikole. Je t'embrasse. 

    6
    Mercredi 14 Février 2018 à 13:57

    J'en apprends bien des choses! Merci infiniment pour ces partages enrichissants!

    Bonne fin de journée chal-heureuse!

    5
    Catherine Lefèvre
    Mercredi 14 Février 2018 à 11:43

    Un GRAND MERCI, Eva, pour ce "Perro" de Goya qui me fascine depuis des décennies (je l'ai sur mon bureau d'ordi ! je le regarde souvent ) mais dont je ne savais pas l'histoire...Le dessin ( version noir et blanc ?) est très beau, dommage que les oiseaux aient disparu de la restauration : le chien semble les regarder, signe de vie, de liberté ? TRÈS bouleversant ! Est-il vraiment "enterré" ou simplement derrière un mur ou un tas de sable, la tête seule dépassant ? je me le suis toujours demandé !

    Bonne journée ! Je vous envoie du soleil !

     

      • Mercredi 14 Février 2018 à 16:56

        J'ai découvert l'histoire de cette peinture murale en rédigeant le billet Catherine... La deuxième image est en N&B parce que c'est une photographie de la peinture transférée sur toile (abîmée lors du transfert). Cette photo (prise en 1873 par le photographe français Jean Laurent) figurait pour la première fois dans le catalogue du Musée du Prado de 1900. Il est étrange de penser que la restauration bâclée de cette peinture, en occultant la présence des oiseaux, a donné son sens dramatique et poignant à la tête du chien. Ce chien qu'on a supposé être pris dans des sables mouvants (le premier titre de la peinture était "chien à demi enterré") était peut-être un chien caché derrière un talus, ou un mur, la tête levée pour suivre les ébats de deux oiseaux. Et donc, la présence de ces oiseaux, change complètement le sens de cette représentation : d'un thème bouleversant, poignant, cette oeuvre devient porteuse d'espérance avec le museau du chien levé vers un symbole de liberté... 

        Merci pour le soleil Catherine !  

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