• Emawayish

     

     

     

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    Michel Leiris écrira à propos d'Emawayish : "Pourquoi faut-il qu'elle soit venue se présenter devant moi, vers la fin de ce voyage, comme s'il s'agissait uniquement de me rappeler que je suis hanté intérieurement par un fantôme plus mauvais que tous les ZAR du monde ?"

     

    (Zar : esprits)

     

    "On se lasse atrocement vite en voyageant. Le merveilleux s'amoindrit à mesure que l'on n'est plus surpris"...

     

    Cependant, en Ethiopie (Abyssinie) devant le rituel de possession, il est à ce point de vertige dionysiaque, "où le haut et le bas se confondent"...

     

    Emawayish "princesse au visage de cire mariée à un homme du consul italien" hante alors ses songes et marquera son livre "L'âge d'homme". Il écrit d'elle :

     

    "A son allure de princesse se mêle un certain côté succube, à chair molle, moite, froide qui m'écoeure, en même temps qu'il me fait un peu peur ; n'est-elle pas prédestinée ? Et son premier mari, quand il est devenu fou ne se sauvait-il pas de la maison pour aller hurler dans les ruines des châteaux de Gondar ?" 

     

     

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      "Pensant qu'il me manquait d'avoir un peu vécu à la dure, je saisis l'occasion de faire un long voyage, et partis pour près de deux ans en Afrique, comme membre d'une mission ethnographique. Après des mois de chasteté et de sevrage sentimental, séjournant à Gondar, je fus amoureux d'une Ethiopienne qui correspondait physiquement et moralement à mon double ideal de Lucrèce et de Judith. Très belle de visage mais la poitrine ravagée, elle était engoncée dans une toge d'un blanc généralement plus que douteux, sentait le lait suri et possédait une jeune négresse esclave ; on aurait dit une statue de cire et les tatouages bleuâtres qui cernaient son cou haussait sa tête ainsi qu'eût fait un transparent faux-col ou le carcan d'un très ancien supplice laissant aux peaux ses traces en broderie. Peut-être n'était-elle qu'une nouvelle image - en chair et en os - celle-là, de cette Marguerite au cou coupé dont je n'avais jamais pu apercevoir, enfant, le spectre à l'Opéra ?  

     

    Syphilitique, elle avait plusieurs fois avorté. Son premier mari était devenu fou ; le plus récent, à deux reprises, avait voulu la tuer. Amputée de son clitoris comme toutes les femmes de sa race, elle devait être frigide, au moins en ce qui concerne les Européens. Fille d'une sorte de sorcière possédée par de multiples génies, il était entendu qu'elle hériterait de ces esprits et quelques uns d'entre eux l'avaient déjà frappée de maladie, la marquant ainsi comme une proie qu'ils viendraient habiter inéluctablement. 

     

    Ayant fait tuer un bélier blanc et feu pour un de ces génies, je la vis ahaner sous la transe - en plein état de possession - et boire dans une tasse de porcelaine le sang de la victime coulant tout chaud de la gorge coupée. Jamais je ne fis l'amour avec elle, mais lorsqu'eut lieu ce sacrifice il me sembla qu'un rapport plus intime que toute espèce de lien charnel s'établissait entre elle et moi."

     

    Michel Leiris (L'âge d'homme)

     

    source : http://agoras.typepad.fr/regard_eloigne/michel_leiris/     

     

     

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  • Commentaires

    18
    Mercredi 25 Février 2015 à 15:36

    Le texte de Michel Leiris est troublant et fait réfléchir, j'en suis touché. Les photos d'époque sont surprenantes, elles creusent en profondeur dans le drame et dans la résignation de la condition humaine.

    Un billet qui laisse en moi une trace profonde. 

    17
    Mercredi 25 Février 2015 à 11:23

    @Anne, selon la citation mise en exergue sur votre site  : "Le monde est un livre et ceux qui ne voyagent pas n'en lisent qu'une page" (St Augustin) se révèle donc d'une façon éblouissante... Merci d'être passée :-)

    16
    Mercredi 25 Février 2015 à 10:46

    Surprenant!

    15
    El duende
    Vendredi 8 Août 2014 à 18:08
    Le lien intime hors contact charnel, dont parle Leiris à la fin de son
    texte existe. Je confirme. :-))
    14
    colette
    Vendredi 8 Août 2014 à 18:08
    Curieux texte ! Perturbant ! Il me manque la démarche de l'ethnographe ! J'ai retenu cette volonté, partagée avec Rimbaud "d'aller au diable" ou tout au moins traquer cette possibilité de devenir autre.
    Oui, mais alors, faute de pouvoir s'abandonner, y a-t-il désenchantement ?
    Plus simplement, moi je veux juste garder le goût du voyage ! Merci malgré tout pour cette plongée dans l'ailleurs.
    13
    Samedi 23 Mars 2013 à 09:54
    C'est la description d'une étrange femme dont
    le pouvoir est ensorcelant, elle attire et repousse à la fois ! Bon week end chère Eva
    12
    Jeudi 21 Mars 2013 à 12:26

    oui, "aller au diable"... dans le sens d'aller jusqu'au plus profond de l'inconnu... jusque là où l'on ne maîtrise plus rien... C'est aussi la démarche de ceux qui font une analyse (une psychanalyse) ce fut la démarche de tout le mouvement surréaliste de l'époque. Leur voyage est d'un autre ordre que le nôtre... C'est parfois un voyage dont l'on ne revient pas (comme Rimbaud, comme Bacon)... Merci Colette

    11
    Jeudi 21 Mars 2013 à 10:47

    La sorcellerie, les zar... apparition, disparition, possession ! J'adore !... 

    10
    Jeudi 21 Mars 2013 à 10:46

    moi aussi ! Grain est comme toi... elle trouve toujours les mots les plus justes

    9
    Jeudi 21 Mars 2013 à 10:45

    Le site en lien montre très bien la parenté entre ce qui a motivé Leiris et Rimbaud dans leur recherche respective de l'ailleurs. J'ai retenu l'anecdocte d'Emawayish parce qu'elle est le témoignage des racines plongeantes dans le glauque de la libido... Comme je l'ai dit à Graindecel, j'ai visionné un court métrage récemment qui décrivait bien toutes ces croyances au Maroc... 

    8
    Jeudi 21 Mars 2013 à 09:54
    Arf, mais mon commentaire à moi a disparu !!!
    Je reprends donc :
    Texte somptueux et envoûtant, l'étrange vécu a beaucoup plus de force que l'imaginé, comme l'Atlantide de Pierre Benoît qui incendiait nos délires adolescents.
    Au Maroc, les esprits, les d'jnoun, font partie de la vie quotidienne.
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    7
    Jeudi 21 Mars 2013 à 09:51
    J'aime le commentaire de Graindecel
    6
    Jeudi 21 Mars 2013 à 09:49
    C'est magnifique et somptueux, la description de l'étrange vrai, vécu est plus forte que les élucubrations d'un Pierre Benoît dont l'Atlantide embrasait nos délires d'adolescent.
    Au maroc, on croit toujours aux esprits, les d'jnoun
    5
    Jeudi 21 Mars 2013 à 08:38

    tu me fais bien plaisir Dan !... moi aussi je suis dépaysée lorsque je viens chez toi et ton travail minutieux sur le passé d'une ville que tu aimes me fascine et m'époustoufle !

    4
    DAN
    Mercredi 20 Mars 2013 à 23:36
    Je suis face là, à un monde qui m'est complètement inconnu, mais c'est ça que j'aime bien en venant ici, car ça me dépayse complètement !
    3
    Mercredi 20 Mars 2013 à 23:14

    si tu suis le lien que j'ai posté, tu connaîtras la suite de l'histoire... 

    2
    Mercredi 20 Mars 2013 à 23:13

    j'ai visionné, il y a quelque temps, un petit court métrage sur ce sujet à Marrakech...

    C'est assez surprenant... 

    1
    Mercredi 20 Mars 2013 à 20:32
    vertige entre le sacré et le profane, le merveilleux et le sordide! Je confirme cette sensation de malaise face à la possession.
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