• Eté d'Algérie (Albert Camus)

     

    B & W 005a

    photo B.L. ©

     

    "Dans tous les cas, et si dur que fût l'été d'Algérie, alors que les bateaux surchargés emmenaient fonctionnaires et gens aisés se refaire dans le bon "air de France" (et ceux qui en revenaient ramenaient de fabuleuses et incroyables descriptions de prairies grasses où l'eau courait en plein mois d'août), les quartiers pauvres ne changeaient strictement rien à leur vie et, loin de se vider à demi comme les quartiers du centre, semblaient au contraire en voir augmenter leur population du fait que les enfants se déversaient en grand nombre dans les rues.

     

    Pour Pierre et Jacques, errant dans les rues sèches, vêtus d'espadrilles trouvées, d'une mauvaise culotte et d'un petit tricot de coton à encolure ronde, les vacances d'était d'abord la chaleur. Les dernières pluies dataient d'avril ou mai, au plus tard. A travers les semaines et les mois, le soleil, de plus en plus fixe, de plus en plus chaud, avait séché, puis dessséché, puis torréfié les murs, broyé les enduits, les pierres et les tuiles en une fine poussière qui, au hasard des vents, avait recouvert les rues, les devantures des magasins les feuilles de tous les arbres. Le quartier entier devenait alors, en juillet, comme une sorte de labyrinthe gris et jaune, désert dans la journée, toutes les persiennes de toutes les maisons soigneusement fermées, et sur lequel le soleil régnait férocement, abattant les chiens et les chats sur le seuil des maisons, obligeant les êtres vivants à raser les murs pour demeurer hors de sa portée."

     

    Albert Camus (Le premier homme)

     

    Terre_seche.jpg

     

     

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  • Commentaires

    10
    BENISSA
    Vendredi 8 Août 2014 à 18:16
    Bonjour Eva et merci pour ce beau texte qui me rappelle si bien mon Algérie natale. C'est tellement vrai cette chaleur de plomb qui poussait les gens à dormir à même le carrelage aspergé d'eau. Cela m'est arrivé encore par la suite au Maroc aussi. Nous avons de la chance que de nombreuses oeuvres posthumes de Camus aient été publiées. Belle journée à toi.
    9
    Mercredi 27 Juin 2012 à 17:05

    Un extrait d'un livre autobiographique très émouvant... Tu nous manques Benissa...

    8
    Mardi 26 Juin 2012 à 23:29

    C'est un très beau texte, un brouillon sans retouche...

    7
    Mardi 26 Juin 2012 à 23:28

    Aïe aïe aïe !  ici on a remis les pulls....

    6
    Mardi 26 Juin 2012 à 23:24

    c'est certain qu'on ne va pas chercher autre chose en Afrique du Nord en été, que cet "accablement"... que j'ai toujours évité (j'ai choisi tantôt le Printemps pour la Tunisie, et l'automne pour le Maroc )

    5
    Mardi 26 Juin 2012 à 21:38
    c'est en fait ce que je vais chercher au Maroc, les chaleurs installées sont si rares ici.
    Belle description de cet accablement qui me manque si souvent
    4
    Mardi 26 Juin 2012 à 20:00
    superbe ce texte que je découvre sous les pales du ventilo qui tourne non stop...à Fes il fait 46°!
    3
    DAN
    Mardi 26 Juin 2012 à 19:50
    J'admire ces hommes, qui comme Camus, savent décrire une atmosphère, un lieu avec autant de talent !
    2
    Mardi 26 Juin 2012 à 19:30

    J'adore ce livre... le dernier livre retrouvé à l'état de brouillon, jamais retouché... C'est une merveille qui dit tant de Camus. Quand on lit Camus, il faut commencer par ce "Premier homme" C'est le livre fondateur... Beaucoup d'émotion, un talent immense...

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    1
    Mardi 26 Juin 2012 à 19:18
    Superbe texte, paysage urbain brossé à grand coups de pinceaux. Et toujours la violence contenue qui en préfigure une autre...
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