• Ingres et Théophile Gautier





      (Illustration : La Grande Odalisque huile sur toile 91 x 162cm Paris Musée du Louvre)


    "Soulevée à demi sur son coude noyé dans les coussins, l’odalisque, tournant la tête vers le spectateur par une flexion pleine de grâce, montre des épaules d’une blancheur dorée, un dos où court dans la chair souple une délicieuse ligne serpentine, des reins et des jambes d’une suavité de forme idéale, des pieds dont la plante n’a jamais foulé que les tapis de Smyrne et les marches d’albâtre oriental des piscines du harem ; des pieds dont les doigts, vus, par-dessous, se recourbent mollement, frais et blancs comme des boutons de camellia, et semblent modelés sur quelque ivoire de Phidias retrouvé par miracle ; l’autre bras languissamment abandonné, flotte le long du contour des hanches, retenant de la main un éventail de plumes qui s’échappe, en s’écartant assez du corps pour laisser voir un sein vierge d’une coupe exquise, sein de Vénus grecque, sculptée par Cléomène pour le temple de Chypre et transportée dans le sérail du padischah.


    Une espèce de turban de cachemire, arrangé avec un goût extrême, et dont les franges retombent derrière la nuque, enveloppe le sommet de la tête, découvrant des cheveux en bandeaux sur lesquels s’enroule une natte de cheveux en forme de couronne : des fils et des grappes de perles complètent cette coiffure orientale.

    Les yeux dont la prunelle glauque regarde de côté ; le nez, aux narines roses comme l’intérieur d’un coquillage ; la bouche, épanouie par un sourire nonchalant ; les joues pleines, un peu larges ; le menton, d’une courbe ronde et voluptueuse forment un type où l’indvidualité de l’Orient se mêle à l’idéal de la Grèce. – C’est bien là, et telle a dû être l’intention du peintre, la beauté esclave dans sa sérénité morne, étalant avec indifférence des trésors qui ne lui appartiennent plus, et se reposant nue au sortir de son bain, dont les dernières perles sont à peine séchées, à côté de la cassolette qui fume, entre le chibouck et la collation de fruits et de conserves, ne prenant pas même la peine de renouer sa ceinture à la massive agrafe de diamants.

    Quelle élégance abandonnée dans ses longs membres qui filent comme des tiges de fleurs au courant de l’eau ! Quelle souplesse dans ces reins moelleux, dont la chair semble venir des micas de marbre de Paros, sous la vapeur rose de la vie qui les colore légèrement ! Et quel soin précieux dans tous les accessoires, les bracelets, le chasse-mouches en plumes de paon, les bijoux, la pipe, les draperies, les coussins, les linges fripés et jetés çà et là."                                       

    Théophile Gautier 
    (Extrait de "Ecrire la peinture - de Diderot à Sollers" Pascal Dethurens Edition Citadelles & Mazenod) Editeur Citadelles & Mazenod

     

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  • Commentaires

    13
    Jeudi 24 Avril 2014 à 23:26

    Il est vrai que l'orientalisme d'Ingres est tout à fait différent de celui de Delacroix !... et l'odalisque d'Ingres est un peu plus sexy que les femmes de harem de Delacroix... 

    12
    Jeudi 24 Avril 2014 à 18:28
    Une Odalisque qui éclairait de sa séduction trouble nos chambres d'adolescents.
    "Oda" veut dire chambre...
    J'aime cet orientalisme romantique où l'Orientale a les traits et la carnation d'une "lionne" de l'époque.
    11
    Dimanche 13 Avril 2014 à 23:22

    vraiment Jacques ? Je pense que le plus dur ce n'est pas d'être belle, mais "d'avoir été" belle ! Car ma foi, quand on est quelconque, on n'a pas grand chose à perdre...  

    10
    Dimanche 13 Avril 2014 à 19:42
    Quand le talent de l'écrivain entre en fusion avec celui du peintre, à l'origine de l'œuvre, on ne peut que rester admiratif !
    "...la beauté esclave dans sa sérénité morne, étalant avec indifférence des trésors qui ne lui appartiennent plus...
    Dur dur d'être belle ?!:-)
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    9
    DAN
    Dimanche 13 Avril 2014 à 11:26
    Non c'est pourquoi j'y ai fait allusion d'ailleurs ;-)
    8
    Dimanche 13 Avril 2014 à 11:20

    bien entendu ! tu n'ignores pas que Ingres (qui jouait du violon passionnément) est à l'origine de cette expression...

    http://eva.baila.over-blog.com/article-le-violon-d-ingres-de-man-ray-115054203.html

    7
    DAN
    Dimanche 13 Avril 2014 à 11:11
    ... a défaut de lui donner un violon...;-)
    6
    Dimanche 13 Avril 2014 à 11:04

    ça donne raison à Ingres !... 

    5
    DAN
    Dimanche 13 Avril 2014 à 09:16
    Et bien tu vois "l'émotion " est passée ;-)
    4
    Dimanche 13 Avril 2014 à 09:13

    Il y a un autre tableau où il a fait une erreur d'anatomie sur un nu féminin ! Ingres n'était pas à ça près !... l'important c'est "l'émotion" suscitée !... 

    3
    DAN
    Dimanche 13 Avril 2014 à 09:07
    Oh ben ça alors ! Je n'avais jamais remarqué ce "détail", faut croire que mes yeux pensaient à autre chose.......
    2
    Dimanche 13 Avril 2014 à 08:59

    Ingres aimait tellement les courbes féminines qu'il a rajouté quelques vertèbres à la belle... pour agrémenter encore sa chute de reins !... 

    1
    DAN
    Samedi 12 Avril 2014 à 00:15
    Il n'y a pas à dire, il y en a un qui peint et un autre qui dépeint tous deux avec un sacré talent !
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