• La chanson de Marcabru

     

    La chanson de Marcabru

     

     

    Marcabru est-il agenais ? Rien n'est moins sûr ! On se fonde pour se l'approprier, sur une biographie bien floue. Le texte médiéval dit en effet ceci "Marcabru fut jeté à la porte d'un homme riche. On ne sait ni qui il était, ni d'où il venait. Et Monseigneur Aldric du Vilars le fit élever..."

    On veut croire qu'il s'agit d'Auvillars, près de Valence-d'Agen, qui, comme on le sait, fit partie du département du Lot-et-Garonne, avant que Napoléon ne crée le Tarn-et-Garonne en 1808. 

    Dix siècles durant, les troubadours ont vécu, senti, pensé, aimé, souffert, porté témoignage d'humanité. Ils ont nom : Marcabru, Uc de Pena Daubasse, Delprat, Cortete de Prades, Jasmin, Froment, Tozy, Blade, Saleres, Grenier, Delberge... Dans leur langue, étouffée, interdite, ils sont la vraie racine culturelle, la mémoire ensevelie, l'empreinte identitaire d'un peuple installé au coeur de la féodalité triomphante, l'Occitanie, porteuse d'une autre civilisation plus généreuse et plus ouverte, aux valeurs fécondes qui vont germer : Amor, jòi e jovent, largesa, pour ne citer que celles-ci...  

    Dans la video ci-dessous, la chanson est interprétée par Claude Marti, chanteur occitan. La bande son est très imparfaite (mon vieux 33 tours ayant subi les outrages du temps !)

      

     

    Violence, truculence, misogynie : la chanson de Marcabru "Escotatz" contraste avec la tradition de l'amour courtois à laquelle on se réfère surtout à propos des troubadours. C'est parce que selon Robert Lafon dans son ouvrage "Trobar", Marcabru a une personnalité d'homme et d'artiste très originale. C'est une sorte de moine-soldat, laïcisé dans une vocation de grand poète... 

    L'accès aux oeuvres des troubadours est particulièrement délicat. C'est la version moderne de Escotatz ! qui a été choisie ici in "Troubadours aujourd'hui" Editions CPM Raphaële-les-Arles. 1975.

     

    Dirai o mon agrandança
    D’aquel vèrs la començança
    De rason à la semblança
    Escotatz ! 


    Amor coma la beluga
    D’un res met fòc à la bruga
    E la flamba ven caluga
    Escotatz 
    A pena vos amaluga
    Que sentissetz lo reumat
     

    Joventut es putanièra
    L’amor leva l’'amor pilha

    son degut a la resquilha                                                                             

     

    Escotatz !
    Nos fas chinchar en familha
    E qual n’es pas endeutat ?
     

    L’amor es de mala raça
    Sens espasa nos estraça
    Mai que guèrra tua, amassa
    Escotatz !
    Sens tisana nos enmasca
    Lo pus brave ne ven fat
     

    Amor es tot en falsièra
    Pren lo mèl daissa la cèra
    Pelada dona la pèra
    Escotatz !
    E s’es plasent son lantèra
    Solament coa-copat 

    Marcabrun filh Marcabruna
    Foguèt fait en tala luna
    Qu’amor sap coma se degruna Escotatz !

    Que jamai s'engarcet d'una

    Ni s'engarcet d'amitat.  

     

     Je vous dirai, sans hésitation,

    Le commencement de ce poème

    Les mots en ont l’apparence de la vérité.

    Ecoutez !

    Qui hésite à bien faire, a semblance de pervers.

     

    L’amour comme l’étincelle

    D’un rien met le feu à la bruyère

    Et la flamme devient folle

    Ecoutez ! 

    A peine vous touche-t-elle que vous sentez le roussi.

     

     Jeunesse ne se méfie pas

    Et l'Amour lève à sa guise son impôt,

    Partout où il fait son nid.

    Ecoutez ! 

    Chacun en prend sa part et ne s’avise  point qu’il en demeure endetté.

     

     L’amour est de male race :

    Sans épée il nous meurtrit plus que la guerre,

    Nul mieux que lui ne nous enchante

    Ecoutez ! 

    Sitôt que l’amour l’embrase le plus brave en devient fou.

     

    L’amour est tout en fausseté,

    prend le miel, laisse la cire,

    pour lui seul pèle la poire.

    Ecoutez !

    Mais est plaisant son « lanlère », seulement la queue coupée.

     

    Marcabrun, fils de Marcabrune,

    Est né en telle lune

    Qu’il sait ce qu’Amour égrenne

    Ecoutez ! 

    Jamais ne s’éprit d’aucune, ni d’amour ni d’amitié.

      

    « Solidarité TunisieBalthus (1908-2001) »

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  • Commentaires

    22
    Mercredi 13 Mai 2015 à 17:41

    Tu sais Henri-Pierre, je l'ai chanté si souvent "tocando la guitarra" !

    21
    Mercredi 13 Mai 2015 à 17:30
    Henri-Pierre

    Ton 33 tours n'a pas vécu, il a de la vie et ses éraillements" ont la noblesse des rides de ceux qui ont eu une belle vie...
    Merci de ce témoignage d'une culture qui fut si brillante, où amour courtois quintessencié et amours vécus frôlant la paillardise co-existaient, comme l'Aphrodite Divine avec l'Aphrodite epitraghia.
    Comme les deux pôles de nos tendances et de nos aspirations

    20
    Dimanche 22 Mars 2015 à 14:38

    Deanhalim, merci d'avoir aimé mon billet. J'aime aussi beaucoup "Les Marquises" de Jacques Brel, le sujet en est différent, et le rythme de la mélodie est plus lent, mais c'est une chanson que j'aime beaucoup. Merci de votre commentaire et de votre visite. De tous les gens qui passent ici, peu commentent, je le regrette un peu : le but d'un blog, c'est aussi et surtout l'échange...

    19
    deanhalim
    Dimanche 22 Mars 2015 à 12:36

    cette oeuvre me rappelle furieusement jacques brel pour son interpretation et la melodie  des marquises (son dernier album)

    18
    Samedi 21 Mars 2015 à 20:35

    C'est un moment fabuleux

    A bientôt

    17
    Samedi 21 Mars 2015 à 20:19

    Normandy50 bonsoir ! c'est vrai, et au début du disque, c'est rayé (le premier "escotatz" a été escamoté) mais Marti n'a pas repris cette chanson en CD... 

    16
    Samedi 21 Mars 2015 à 20:17

    j'avais presque oublié les crépitements du vinyl que j'ai connu de longues années ... bonne soirée Eva  yes

    15
    Samedi 21 Mars 2015 à 18:12

    @ Francesco : je connaissais le théâtre de marionnettes en Sicile (les Puppy) qui met en scène les exploits des champions carolingiens, mais j'ignorais complètement que les troubadours avaient subsisté en Sicile ! Un peu comme les conteurs du Maroc alors ? C'est extraordinaire ! Merci Francesco pour cette précision... 

    14
    Samedi 21 Mars 2015 à 17:59

    J'aime beaucoup aussi "le moyen âge", et je suis passionné de romans qui concernent cette période historique…. Les troubadours ont toujours eu un rôle très important dans la société, pas seulement dans le moyen âge, encore aujourd'hui, en Sicile le "cantastorie", racontent en chansons des histoires populaires, et des évènements historiques, qui se transmettent de générations en génération...

    La video est magnifique, prenante et fascinante… Merci Eva de ce merveilleux petit voyage dans l'univers de nos ancêtres...

    13
    Samedi 21 Mars 2015 à 08:49

    @Rony : Merci de ta visite, le soleil fait la tête dès le premier jour !.. quel sale caractère ce soleil !

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    12
    Samedi 21 Mars 2015 à 08:42
    rony

    Je découvre avec plaisir et gourmandise...


    soleil caché ce matin...

    11
    Samedi 21 Mars 2015 à 08:32

    @ Jibie : oui, je crois ! "s'éprendre d'une garce" n'est pas très romantique ! mais peut-être bien que garce ici n'est que le féminin de garçon? De toute manière, on sent bien que la femme est considérée comme une sorcière... contre laquelle on ne peut pas grand chose : ses sortilèges sont trop puissants !  sarcastic

    10
    Samedi 21 Mars 2015 à 08:30

    bonjour Eva


     


    ta traduction d'engarcet est plus douce (s'  éprit) que le le terme moyenâgeux  (s'engarcer)


    merci,excellent samedi


     

    9
    Samedi 21 Mars 2015 à 08:00

    @ Thami, tu as raison, je n'avais pas pensé à ça, la chanson est comme  un bonbon au miel et les vignettes sont acidulées comme des Haribo !

    @ Pierre : c'est en cela que le Moyen Age est fascinant en France, cette chanson, je la connais par coeur depuis 40 ans ! Pour faire le diaporama, je me suis bien amusée avec les vignettes : tout le monde connait les miniatures des Riches Heures du Duc de Berry, mais j'en ai trouvées là qui sont délicieusement surprenantes et subversives... 

    8
    Samedi 21 Mars 2015 à 04:08

    Une chanson ronde comme un bonbon au miel et au caramel qui fond doucement en bouche!

    Bonne fin de semaine lumineuse!

    7
    Samedi 21 Mars 2015 à 00:26

    Bonsoir Eva,       Le Languedoc avait un grand rayonnement intellectuel au moyen-age, n'est-ce pas?

    6
    Vendredi 20 Mars 2015 à 15:08

    Catherine, puisque vous aimez l'histoire médiévale, vous aimerez peut-être aussi ce billet (et vous connaissez peut-être le lieu) http://maia-blog.eklablog.com/un-jardin-medieval-a114948714

    5
    Catherine
    Vendredi 20 Mars 2015 à 15:00

    Merci pour votre réponse et le lien qui me permet de conserver ce petit bijou ! J'aime beaucoup tout ce qui concerne le moyen âge : Histoire (ma spécialité) , les arts, en général...

    Marcabru est suivi de St Savin (que je n'ai jamais réussi à voir !) et un très beau Magnificat ! Merci !

    4
    Vendredi 20 Mars 2015 à 14:36

    @ Catherine : vous me faites très plaisir ! la video (que j'ai préparée à partir de miniatures trouvées sur le net, et d'une bande sonore d'un vieux 33 tours de Marti) est sur youtube à ce lien https://www.youtube.com/watch?v=UhYgPWyyUG8#action=share vous pouvez la visionner autant que vous voulez, ou la partager (en l'intégrqant) sur un site ou un blog de votre choix. Merci beaucoup pour votre commentaire.

     

    3
    Catherine
    Vendredi 20 Mars 2015 à 14:29

    MAGNIFIQUE !!!!!!! Les illustrations sont superbes ! Est-il possible d'avoir cette vidéo ?

    Ces troubadours sont un patrimoine extraordinaire ! J'ai participé jadis à des fouilles au château de VENTADOUR en Corrèze et fréquenté une association Limouzine dont je garde un merveilleux souvenir.

    2
    Vendredi 20 Mars 2015 à 08:56

    Bonjour Dan ! Mon mari est moitié Gascon, moitié Italien... tu comprends ? Merci pour ton intérêt, bonne journée du Printemps yes

    1
    DAN
    Vendredi 20 Mars 2015 à 08:51

     

    Un aspect de cette culture complètement inconnue de moi, voilà aussi ce que j'aime ici découvrir des choses en dehors des courants de la «mode».

     

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