• La chèvre de M. Seguin (fin)

     

    chevre-de-monsieur-seguin.jpg

     

    " Enorme, immobile, assis sur son train de derrière, il était là regardant la petite chèvre blanche, et la dégustant par avance. Comme il savait bien qu'il la mangerait, le loup ne se pressait pas ; seulement, quand elle se retourna, il se mit à rire méchamment.

    - Ha ! ha ! la petite chèvre de M. Seguin ! et il passa sa grosse langue rouge sur ses babines d'amadou.

    Blanquette se sentit perdue... Un moment, en se rappelant l'histoire de la vieille Renaude, qui s'était battue toute la nuit pour être mangée le matin, elle se dit qu'il vaudrait peut-être mieux se laisser manger tout de suite ; puis, s'étant ravisée, elle tomba en garde, la tête basse et la corne en avant, comme une brave chèvre de M. Seguin qu'elle était... Non pas qu'elle eût l'espoir de tuer le loup - les chèvres ne tuent pas le loup - mais seulement pour voir si elle pourrait tenir aussi longtemps que la Renaude...

     

    Alors le monstre s'avança, et les petites cornes entrèrent en danse. 

    Ah ! la brave chevrette, comme elle y allait de bon coeur ! Plus de dix fois, elle força le loup à reculer pour reprendre haleine. Pendant ces trêves d'une minute, la gourmande cueillait en hâte encore un brin de sa chère herbe ; puis elle retournait au combat, la bouche pleine... Cela dura toute la nuit. De temps en temps, la chèvre de M. Seguin regardait les étoiles danser dans le ciel clair, et elle se disait : 

    - Oh ! pourvu que je tienne jusqu'à l'aube...

     

    L'une après l'autre, les étoiles s'éteignirent. Blanquette redoubla de coups de cornes, le loup de coups de dents... Une lueur pâle parut dans l'horizon... Le chant d'un coq enroué monta d'une métairie.

    - Enfin ! dit la pauvre bête, qui n'attendait plus que le jour pour mourir ; et elle s'allongea par terre dans sa belle fourrure blanche toute tachée de sang...

     

    Alors le loup se jeta sur la petite chèvre et la mangea."

     

                                                                            Alphonse Daudet (Lettres de mon moulin)

     

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  • Commentaires

    9
    Samedi 26 Mai 2012 à 09:26
    Je pense que je dois associer cela à autre chose sans me souvenir de quoi. Tu as raison, je relirais. Bonne fin de semaine Eva.
    8
    Vendredi 25 Mai 2012 à 22:30

    oui, il me semble que la distance de 70 ans (au moins) doit s'écouler après le décès du créateur... Mais, c'est curieux que tu aies de si mauvais souvenirs des Lettres de mon moulin... Il faudrait que tu les relises pour retrouver à quoi cela tient...

    7
    Vendredi 25 Mai 2012 à 21:36
    J'ai vu que les lettres de mon moulin étaient du domaine public. Moi, cela me rappele de belles frayeurs d'enfant,mais je ne saurais dire pourquoi.
    6
    Vendredi 25 Mai 2012 à 21:33

    oh ! Dan ! tu sais bien que la chèvre ne peut pas venir à bout du loup (sauf à lui donner une indigestion !)

    5
    Vendredi 25 Mai 2012 à 21:32

    c'est une écriture ciselée que l'on a plaisir à lire à haute voix... Bises Noëlle

    4
    Vendredi 25 Mai 2012 à 21:31

    c'est vrai, ce passage est le plus émouvant... elle est courageuse, elle sait qu'elle va mourir, mais elle profite jusqu'au bout... Elle a d'abord pensé à se laisser manger tout de suite, et puis elle s'est ravisée... Je me sens vraiment très proche de cette petite bête là : avec des petites cornes qui ne servent à rien... mais prête à me battre jusqu'au bout...

    3
    Vendredi 25 Mai 2012 à 19:45
    "Pendant ces trêves d'une minute, la gourmande cueillait en hâte encore un brin de sa chère herbe ; puis elle retournait au combat, la bouche pleine... Cela dura toute la nuit. De temps en temps, la chèvre de M. Seguin regardait les étoiles danser dans le ciel clair,"
    Voilà à mon avis le pus beau passage. Daudet sait ménager le suspense ! Il ya de la grandeur chez le faible quand il assume pleinement sa destinée.
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    2
    Vendredi 25 Mai 2012 à 13:41
    On a tous et toutes "un côté midinette" ! on a très vite la larme à l'oeil !

    Bisous Eva , tu m'as donné envie de relire un peu Daudet!

    Bonne journée
    1
    DAN
    Vendredi 25 Mai 2012 à 11:01
    J'ai beau connaitre la fin j'espère toujours qu'elle s'en tirera, c'que je peux avoir un côté "midinette" moi... (rire)
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