• La Mer (Pablo Neruda)

    La Mer (Pablo Neruda)

     

    J'ai besoin de la mer car elle est ma leçon :

    je ne sais si elle m'enseigne la musique ou la conscience :

    je ne sais si elle est vague seule ou être profond

    ou seulement voix rauque ou bien encore conjecture

    éblouissante de navires et de poissons.

    Le fait est que même endormi

    par tel ou tel art magnétique je circule

    dans l'université des vagues.

     

    Il n'y a pas que ces coquillages broyés

    comme si une planète tremblante

    annonçait une lente mort,

    non, avec le fragment je reconstruis le jour,

    avec le jet de sel, la stalactite,

    et avec une cuillerée de mer, la déesse infinie.

     

    Ce qu'elle m'a appris, je le conserve ! C'est

    l'air, le vent incessant, l'eau et le sable.

     

    Cela semble bien peu pour l'homme jeune

    qui vint ici vivre avec ses feux et ses flammes,

    et pourtant ce pouls qui montait

    et descendait à son abîme,

    le froid du bleu qui crépitait

    et l'effritement de l'étoile,

    le tendre éploiement de la vague

    qui gaspille la neige avec l'écume,

    le pouvoir paisible et bien ferme

    comme un trône de pierre dans la profondeur,

    remplacèrent l'enceinte où grandissait

    la tristesse obstinée, accumulant l'oubli,

    et soudain mon existence changea :

    j'adhérai au mouvement pur.

     

    Pablo Neruda (Mémorial de l'Ile Noire) Edition Gallimard

    Traduit de l'espagnol par Claude Couffon

     

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  • Commentaires

    13
    Lundi 2 Mars 2015 à 10:25

    @ Francesco : "l'envie de poursuivre son propre chemin vers le mouvement pur"... ça c'est le privilège de l'artiste ! Les autres, pauvres malheureux, sont souvent dans le noir, en chemin vers le cahot...

    @ El Duende : je me souvenais parfaitement de ce que tu nous rappelles ici...

    12
    el duende
    Lundi 2 Mars 2015 à 00:17

    Tu ravives des souvenirs... L'île noire lieu mythique (qui n'est pas une île) que j'ai visitée... La maison de Neruda 30 mètres au dessus des vagues de l'océan. Les figures de proue de navire suspendues dans son salon. Son bureau minuscule comme une cabine de navire et sa longue vue avec laquelle il scrutait l'horizon. Un jour il a vu une planche qui flottait sur les eaux et il a dit à Matilda : la mer m'apporte mon bureau... Et il a récupéré la planche pour en faire son bureau... Neruda était un collectionneur et les coquillages avaient une place de choix chez lui... Là-bas l'océan est omniprésent (comme la cordillère des Andes) et tous les poètes en sont imprégnés. Je te recommande Luis Mizon sur mon site... Lui aussi parle de la mer....Bises.

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    11
    Dimanche 1er Mars 2015 à 09:51

    un poème qui est "mon poème de chevet", parce que j'aime profondément Pablo Neruda, et parce que la Beauté, l'Art et la Mer, sont pour moi, la vie. 

    Chacun de nous a son "Isla negra" intérieure et secrète, qui illumine avec sa lumière, l'envie -quand même, malgré tout et toujours- de poursuivre sans cesse son propre chemin vers le "mouvement pur"...

    10
    Samedi 28 Février 2015 à 13:33

    oh merci cher Alain ! tu dois savoir que j'aime plus que tout, ton travail que tu ne montres pas assez à mon goût ( comme "le territoire du chaman" ou "le petit cheval") toute les techniques primitives (et modernes à la fois) qui nous ramène secrètement au ventre de la Terre... Merci Alain, et grosses bises :-)

    9
    Samedi 28 Février 2015 à 13:12

    U8n grand bonjour Eva !

    Je repasse régulièrement (pas toujours le temps de te laisser un commentaire) voir tes articles toujours aussi vivants, créatifs, poétiques et intéressants. Chaque fois je les déguste délicieusement, tous à la fois, comme une excursion régénérante indispensable !

    Merci aussi de m'avoir laissé un petit commentaire lors de ta dernière visite, je t'envoie mes amitiés,

    8
    Vendredi 27 Février 2015 à 23:02

    @Dan : tout le monde ne peut pas être Neruda, mais quel plaisir de le lire !... et tout le monde ne peut pas s'exprimer avec des pinceaux, mais quel plaisir de contempler ! Bonne nuit Dan :-)

    7
    Vendredi 27 Février 2015 à 17:43

    Coucou Eva, j'adore cette poésie, le vent, le sable et la mer et ces derniers jours j'ai vu la mer en furie et ses vagues géantes, impressionnantes. Belle fin de semaine et bises

    6
    Vendredi 27 Février 2015 à 14:18

    Merci, je ne connaissais pas ce beau poème!

    5
    DAN
    Vendredi 27 Février 2015 à 12:32

    Disons pas avec ses mots, car parfois (pour moi) certaines émotions sont intraduisibles, on les ressent mais on ne les exprime pas, car ça les mots ne correspondent quasiment jamais aux émotions ressenties, à ce titre je préfère la peinture où l'artiste laisse le spectateur interpréter son œuvre ! 

    4
    Vendredi 27 Février 2015 à 09:50

    @ Nikole : la poésie vraie a ceci de particulier : elle console de tout (ou de beaucoup de peines) parce qu'elle peut être le reflet de ce que chacun de nous porte au plus profond... La poésie, c'est mon "médicament" ! Merci Nikole  :-)

    3
    Vendredi 27 Février 2015 à 09:47

    @ Dan : si on considère que la dernière strophe est auto-biographique (Pablo dans sa maison de isla Negra) on peut lire tout le début en ressentant exactement la même émotion : ce sentiment irrépressible de la Beauté et de l'Infini, "vague seule ou être profond"... ce sentiment d'appartenance à la Nature dans ce qu'elle a de plus changeant, de plus mouvant, de plus renaissant à chaque instant...de plus universel ! Tu ne le sens pas Dan ?

    2
    Vendredi 27 Février 2015 à 09:39

    Avec le fragment je reconstruis le jour, avec le jet de sel le stalactite ...
    Comment dire avec plus de force et de beauté la densité de l'espoir et le courage ?
    Une lecture qui provoque l'émotion.
    Je ne connaissais pas ces mots-là.
    Merci.

    1
    DAN
    Vendredi 27 Février 2015 à 08:21

     

    Eh bien dis donc, où va-t-il chercher tout ça Pablo !

     

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