• Le Casanova de Fellini.

     


     

     

    Fellini n'aimait pas Casanova, aussi la genèse du film fut-elle longue et laborieuse. Fellini menait de front plusieurs projets et le Casanova était pour lui une vraie difficulté en raison de cette aversion qu'il avait pour le personnage. Les divers éléments de la biographie de Casanova sont respectés mais ils ne figurent dans le scénario que d'une manière symbolique. Contrairement à ce qui fut dit par certains critiques, Fellini n'a pas ridiculisé Casanova qu'il a dépeint comme un érudit, un lettré, un scientifique aussi. Mais c'est un solitaire et un homme fasciné par les femmes.

     

    "Le Casanova de Fellini" n'a qu'une parenté lointaine avec l'auteur des "Mémoires de Casanova". Fellini fait allusion brièvement à l'emprisonnement de son héros sans qu'on sache vraiment la cause de cet emprisonnement et les modalités de l'évasion des "plombs". Toute l'importance de cet épisode réside dans la façon dont Fellini montre l'extrême dénuement du reclus dans une cellule grise, humide et froide, en position foetale (à cause de l'étroitesse de la cellule) et l'étrangeté irréelle de cette évasion.

     

    Le plus extraordinaire chez Casanova n'est pas sa laideur, on sait depuis toujours que la séduction n'est pas seulement affaire de beauté, mais plutôt le regard posé sur chacune et les mots adressés à toutes, (probablement les mêmes mots pour toutes !). Un regard aqueux, liquide, qualifié de "spermatique" plein de mystère, et les paroles dites par Casanova flottent en poésie, plongeant les femmes, toutes les femmes (même les plus avisées) dans une étrange dépendance.

     

    Il les séduisait toutes, et toutes tombaient en pamoison ! Les jeunes, les vieilles, les belles, les laides, les sottes, les savantes... et même... une automate ! Les scènes érotiques ou pornographiques ne le sont pas puisqu'elles sont réduites à l'expression purement mécanique de l'acte sexuel : un acte charnel désincarné en quelque sorte... à l'exception toutefois de la séduction de la poupée mécanique (scène de la vidéo ci-dessus). Raffinement paradoxal qui ajoute encore au charme étrange de ce film.

     

    La scène de l'automate est pure invention de Fellini mais c'est la plus belle des scènes érotiques, parce que la plus poétique et la plus onirique. Casanova d'abord repoussé par cette poupée mécanique, déploie tout son savoir-faire, toute sa douceur pour réussir à la tenir dans ses bras le temps d'une danse... C'est très émouvant, on comprend alors, combien, plus que l'amour, Casanova aime "l'idée de l'amour"... Aimer sans même pouvoir imaginer qu'on ne puisse pas être aimé en retour, aimer en oubliant que cet amour-là sera purement imaginaire, fictif... Aimer le rêve... aimer jusqu'à se convaincre que l'objet prendra vie... Et puis, casser le jouet. La scène se termine d'une façon cynique et toute symbolique puisque la poupée désarticulée est délaissée après l'accomplissement, exactement comme celles bien vivantes, mais réduites à la condition d'objet...

     

    "Le Casanova de Fellini" est un film qui se déroule comme un rêve... au milieu des miasmes de la lagune, au rythme léger mais lancinant et obsessionnel des notes de Nino Rota. Casanova vieux et raillé, exilé, garde en mémoire les vers des poètes qu'il a aimés et tant admirés. Il termine sa vie dans la bibliothèque d'un protecteur compatissant. Et le vieux Casanova se souvient de sa jeunesse agitée, de sa vie d'aventurier, lui, le solitaire, le paria de l'amour et de la famille, une dernière fois, aux portes de la Mort, il rêve de Venise... "Reverrai-je ma ville, reverrai-je Venise ?" et dans ce rêve ultime, il danse une dernière fois avec la poupée mécanique de sa jeunesse...

     

    eva, le 6 novembre 2012.

    « WolfIllusion(s) »

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  • Commentaires

    16
    Mardi 28 Avril 2015 à 08:40

    Jean-François, ravie de ta visite ! La migration de mon blog a été rendue obligatoire par la publicité obligée subitement par OB... De plus, l'envers du décor d'OB était devenu à la fois si compliqué et tellement différent de l'ancien que j'ai préféré changer de plateforme carrément (après une tentative sur un nouveau blog chez OB). Mais ce qui m'a le plus rebuté, c'est vraiment l'invasion de la publicité. Je déteste tout ce qui est imposé de cette façon cavalière ! Oui Jean-François, oui, Casanova est éternel ! Il ne change pas (ou si peu) et j'ai une grande tendresse pour tous ses travers et toutes ses qualités ! A bientôt :-)

    15
    Lundi 27 Avril 2015 à 20:12

    Un Casanova vieillissant et un article qui me rajeunit de 3 ans... c'est drôle tout de même. Mais je pense que c'est moi qui vieillit car Casanova , lui, est éternel. Je vois que tu as migré, c'est dans l'air du temps. Pour ma part je résiste encore sur Over-blog, avec un peu de mal en ce moment car ils me dénient l'accès aux communautés pour une raison technique mystérieuse, alors que j'étais ravi du retour de ce bon vieux système ! Tous mes vœux donc pour le nouveau blog que je compte bien visiter régulièrement.. L'article illustré par Boubat est superbe !

    14
    Dimanche 26 Avril 2015 à 14:24

    Georges, merci ! Contrairement à Henri-Pierre, je ne suis pas "partagée" quant à ce film... Il me fascine complètement, par le personnage de Casanova vu par le regard de Fellini, et aussi par les décors en studio. Tu peux le voir intégralement (en version française) ici :

    https://www.youtube.com/watch?v=wCW8A6SVA6U

    il doit exister aussi en version originale sur youtube (je ne l'ai pas cherché)

    13
    Dimanche 26 Avril 2015 à 12:12

    Un sacré billet que le tien..................qui vient me rappeler les fameuses mémoires de ce séducteur invétéré..........lues dans ma jeunesse.Je n'ai pas vu le film de Fellini et tu me donnes envie de le faire................Je vais chercher et le trouver.

    J'aime beaucoup le commentaire d'Henri-Pierre.

     

    Amitiés et à bientôt de lire un autre billet de cet "acabit".

     

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    12
    Dimanche 26 Avril 2015 à 11:17

    Merci, merci Francesco ! Ce que Fellini a fait de Casanova est d'autant plus extraordinaire qu'il n'aimait pas le personnage... Venise en studio, est vraiment "l'esprit" de Venise tel que moi je l'ai senti... J'adore ce film où Fellini "réinvente le sens du réel" au point de nous faire pénétrer intimement dans son univers onirique... c'est un film qui m'a "emportée" (ravie dans les deux sens : subjuguée et emportée loin)... 

    11
    Dimanche 26 Avril 2015 à 10:30

    "La bambola meccanica" sans doutes un coup de génie du "maestro" dans ce Casanova magistralement interprété par Donald Suterland… 

    C'est dans ce film que Federico utilise, dans les studios de Cinecittà à Rome (son règne absolu), pour réaliser la lagune de Venise, des grands draps en matière plastique noire… Cette fiction "exagérée", débordante d'invention, est une des marques de Fellini… et sa "bambola meccanica", au delà des raffinées métaphores avec les quelles il "habille" son Casanova, fait part de son univers, qui réinvente complètement le sens du réel… Un magicien du cinéma….Superbe billet Eva, Merci.

    10
    Samedi 10 Novembre 2012 à 17:41

    hé bien merci beaucoup Jean-François ! Je ne connais pas très bien Venise, mais j'ai fait abstraction de tout le folklore touristique, et je l'ai aimée... je l'ai aimée ! et j'ai très bien senti l'ombre de Casanova !

    9
    Samedi 10 Novembre 2012 à 15:05
    Merci Eva pour ce très bel article qui traduit bien le côté délétère, désespéré et fascinant à la fois du film - et d'ailleurs de Venise quand on la connait bien. On aimerait découvrir plus souvent des blogs de cette qualité.
    Cordialement,
    Jean-François
    8
    Jeudi 8 Novembre 2012 à 16:08

    Comme toujours, tu trouves les mots justes... "une marche funèbre fatale et décontextualisée"...oui, un théâtre d'ombres pour mettre en scène le mal-être du héros... et c'est ce qui m'a fascinée... Fellini l'a "vu de loin" et curieusement, je suis entrée dedans illico... j'ai aimé ce détachement et j'ai aimé Venise dans les studios de Cinecitta, j'ai aimé ce Casanova qui ne s'aime pas et qui s'abîme dans la douleur de les désirer toutes...

    Merci Henri-Pierre d'avoir trouvé des mots pour ce film étrange qui déconcerte. Bises. 

    7
    Jeudi 8 Novembre 2012 à 14:43
    Belle et fine analyse.
    je reste très partagé au sujet de ce film, l'atmosphère XVIIIe siècle n'y est pas, tout a l'air théâtral et vu de loin, sans empathie aucune, comme un théâtre d'ombres. Mais le mal-être du héros est palpable sans cesse. Certainement ce qu'a voulu Fellini, une marche funèbre fatale et décontextualisée.
    6
    Mercredi 7 Novembre 2012 à 09:22

    je te remercie Dan, un avis sur un film une fois, ne veut pas dire talent... 

    5
    DAN
    Mercredi 7 Novembre 2012 à 08:42
    Il n'y a pas de doute, tu aurais pu être chroniqueuse dans les cahiers du cinéma, tu as la plume pour ça !
    4
    Mardi 6 Novembre 2012 à 23:36

    Cher Alain, je suis très heureuse de te lire. J'espère que tu n'as pas trop froid là-bas... J'ai beaucoup de retard dans mes visites de blogs-amis parce que j'ai été absente deux semaines pour cause de vacances. Je te souhaite un bon séjour au Québec, et je t'envoie de grosses bises !

    3
    Mardi 6 Novembre 2012 à 23:33

    oui, une grande solitude... terrible...

    2
    Mardi 6 Novembre 2012 à 19:54
    Très intéressant Eva, j'aime beaucoup ton article !
    je t'envoie de grosses bises carnettistes, amicales et québécoises !
    Ce que tu écris est toujours aussi intéressant, cela me fait plaisir de prendre 5 mn sur la route pour t'envoyer un petit bonjour,
    Amitiés,
    Alain MARC
    1
    Mardi 6 Novembre 2012 à 19:30
    Casanova était en réalité en quête de l'idéale féminin. Il aimait LA FEMME et rêvait de la créature idéale, d'où peut-être la scène de l'automate : un rêve qui laisse une impression d'isolement.
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