• Le Clézio et Modigliani

     

    « Modigliani ou le mystère »

    "Tout en lui est secret, intériorité, force retenue. La première fois que l’on voit un visage peint par Modigliani, c’est cela qui étonne : quelque chose  n’est pas marqué, n’est pas achevé, il manque quelque chose, dans les lignes, dans la couleur. Cela tremble et disparaît, apparaît encore, comme une lumière comme l’éclat d’un regard, comme un sourire. Impossible d’arrêter cela, de l’appréhender. C’est le mystère de Modigliani, son pouvoir : il est l’un des rares magiciens de notre monde qui fait croire à la vie, au mouvement. […]

    Peindre, pour lui, n’est pas un acte complémentaire à la vie. C’est au contraire, l’acte de vie par excellence : sans l’art, ce possédé n’est qu’un ivrogne, un malade. Il y a, pour nous, un contraste pénible entre la vie de Modigliani et sa peinture : on ne saurait imaginer vie plus noire, plus tragique, dans ce Paris sordide de la fin de la Belle Epoque, à la veille de la guerre. Mais on ne peut imaginer peinture plus exaltante, pleine de beauté, de lumière et de vie.

    Et plus la vie de Modigliani devient un cauchemar, misère, souffrances et crises éthyliques, plus son œuvre s’éclaire, s’illumine, s’allège, prend la couleur de l’eau, des nuages des arbres que Modigliani ne voit plus.

    Cette œuvre est proche du rêve, en vérité. Le rêve d’une autre vie, le rêve d’un visage parfait, d’un corps vierge et merveilleux, d’un regard ouvert, chargé d’extase et de bonheur. Rêve peut-être du féticheur qui chante pour lui-même et s’enivre de son propre désir, en route vers l’au-delà de la vie où tout est enfin réalisé.

     

     



    Personne, je crois, n’a su mettre tant de couleur et de lumière dans la chair, comme si le grain de la peau était fait de millions de particules, un amas d’étoiles. Ces corps montrés dans toute la beauté magique de leur jeunesse éternelle entourés de vagues pourpres, de cramoisi, d’ocre, de bleu de nuit, semblent vraiment immenses, illimités, pareils au ciel qu’on ne peut voir tout entier. Corps de galaxie peut-être imprégnés de laiteuse lumière, scintillants, légers, nébuleux, aux courbes qui veulent envelopper tout l'univers visible. La beauté des corps, le regard détourné vers l’autre côté du réel, tout indique que ces femmes sont des symboles, images de constelleations découvertes par Modigliani, dévoluées dans leur dessin mythique.

    Déesses, peut-être, ou simplement la forme mortelle d’un désir infini. Pareilles à la voix lactée, les femmes nues de Modigliani montrent la clarté stellaire de leur peau, parfois sombre ou cuivrée, parfois pâle sur une nuit qu’on voit à peine. Femmes symboles, femmes contellations. Elles sont sans doute les moments les plus intenses de la joie de peindre de Modigliani." (J.M.G.Le Clezio)


    (Extrait de « Ecrire la peinture - de Diderot à Sollers" Pascal Dethurens  Edition Citadelles & Mazenod)
    illustrations : la femme aux yeux bleus : Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris

     

    Nu couché : Milan, collection particulière.

     

     

    « Nazim Hikmet, Devinette Parisienne.Je suis dans la clarté qui s'avance... »

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  • Commentaires

    21
    laura
    Vendredi 8 Août 2014 à 18:21
    Margareth a dit ce que je pense.
    Deux monstres qui s'équilibrent à merveille; on peut dire que Le Clezio peint Modigliani.
    Merci beaucoup pour cette très belle page.
    20
    marie
    Vendredi 8 Août 2014 à 18:21
    merci Eva ... de toujours nous surprendre, et nous montrer des "échappées belles " ... comme celle-ci !
    19
    Vendredi 12 Avril 2013 à 17:35

    Modi est l'un de ceux que j'aime le plus... et parfois, je me demande si je n'ai pas été Jeanne Hébuterne....

    18
    Vendredi 6 Avril 2012 à 09:21

    Ce texte est si beau que je n'ai pas pu résister. Ces deux-là je les aime et les admire tant, qu'ils ne pouvaient que se rencontrer...

    17
    Vendredi 6 Avril 2012 à 09:03
    Un hommage de Le Clézio est ce qui pouvait arriver de mieux à Modigliani
    16
    Mardi 6 Mars 2012 à 19:05

    Bonsoir Benissa, j'ai moi-même cessé de poster sur Aminus, parce que ça ramait trop pour rendre les visites sur aminus (surtout le matin et le soir, au moment où tout le monde se connecte !) Mais j'irai te voir avec plaisir là-bas  

    15
    Lundi 5 Mars 2012 à 23:49
    Bonsoir Eva, sur OB, j'ai désactivé les commentaires puisque je ne publie plus et sur Tumblr c'est un fonctionnement différent. Par contre on peut en laisser sur Aminus3 je te laisse le lien sur mon pseudo) , j'ai repris les publications là-bas après avoir délaissé ce blog-photo pendant un an.
    14
    Lundi 5 Mars 2012 à 21:08

    Merci Benissa... J'aime beaucoup ta photo des stèles du cimetière juif de Prague. Il n'est plus possible de laisser des com sur ton blog, il me semble... 

    13
    Lundi 5 Mars 2012 à 19:06
    Merci Eva pour le lien , tu as raison, presque aussi beau ...
    12
    Lundi 5 Mars 2012 à 18:58

    ah oui, je pense avoir vu ce film... Modi était presque aussi beau que Gérard Philipe...

    on le voit ici, dans un autre billet 

    http://eva.baila.over-blog.com/article-26376670.html

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    11
    Lundi 5 Mars 2012 à 18:56

    Oui, tu as tout à fait raison Laura, Le Clezio "peint" Modi, et l'ouvrage dont ce texte est extrait s'appelle "Ecrire la peinture". C'est un plaisir de lire de grands auteurs écrivant à propos de grands peintres.

    10
    Lundi 5 Mars 2012 à 17:04
    Difficile de s'exprimer après avoir lu un texte aussi précis et qui a déjà exprimé tout ce que l'on peu ressentir et penser. J'avais été touchée à nouveau dernièrement par ces regards de Modigliani, en faisant des recherches pour illustrer mon choix de poésies. Un régal de trouver ce billet aujourd'hui.
    9
    Lundi 5 Mars 2012 à 16:56
    Les mots de JMC.le Clezio sont déjà un long poème...et quand je lis Modigliani, je vois Gérard Phillipe, (Montparnasse 19 )

    Gerard Phillipe, "entre bouteilles et pinceaux" est ce personnage tourmenté et désespéré, superbe !
    Le Clézio et Modigliani, Gerard Philippe, j'adore...
    Merci Eva , bises
    8
    Lundi 5 Mars 2012 à 16:51

    Un écrivain de grand talent pour vanter un peintre de grand talent !

    7
    Lundi 5 Mars 2012 à 16:47

    Picasso n'a pas terminé aussi mal !!! Il y a aussi des gens sans talent qui finissent comme ça !

    6
    Lundi 5 Mars 2012 à 16:44
    C'est quand même curieux tous ces peintres de talent qui mènent une vie de misère, ou se perdent dans les drogues ou l'alcool ! C'est suvent une fois mort qu'on les découvre et qu'ils ont plein de fans, trop tard !!! Bisous Eva
    5
    Lundi 5 Mars 2012 à 15:26
    Le Clézio parle merveilleusement bien de Modigliani. Très tard j'ai découvert la délicatesse multiple des nuances dans le rendu des chairs dans ses tableaux. L'écrivain l'exprime très bien.
    4
    Lundi 5 Mars 2012 à 09:05

    Tu vois, Le Clezio parle si bien de Modi, que je ne saurais rien dire de plus. Le Clezio dans ce texte dit tout ce qui me touche dans une oeuvre de Modigliani... Sa peinture semble parfois inachevée, mais ccomme l'exprime Le Clezio, c'est ce qui la rend vivante, palpitante. Et oui, parfois, les jeunes femmes de Modi n'ont pas de regard, mais cependant elles te regardent mystérieusement, et te pénètre jusqu'au fond de l'âme. C'est la peinture la plus pure, la plus émouvante que je connaisse... Tu as deviné : j'adore Modi

    3
    Lundi 5 Mars 2012 à 08:58

    C'était un peintre de génie, et rien d'autre ne comptait pour lui que son art. Et pour Jeanne, rien d'autre ne comptait que Modi...

    2
    Lundi 5 Mars 2012 à 08:53
    J'ai découvert récemment la fin de vie de Modigliani dans un film; J'ai été prise entre 2 sentiments, très bien exprimés dans le texte ici. La beauté magnifique de la peinture d'un être qui devient merveilleux à nos yeux mais dont la vie si délabrée nous laisse sans voix, perdu dans l'incompréhension, le sentiment de gâchis. Mais voilà, c'est comme ça, on n'y peut rien, la vie ne fabrique pas les êtres comme on les aimerait mais comme elle veut !!!
    Merci pour cet article !
    1
    DAN
    Dimanche 4 Mars 2012 à 23:05
    Modigliani ne regarde pas ses sujets, se sont eux qui le regardent comme ils nous regardent également, on s'interroge sur leurs pensées mais c'est notre pensée qui est regardé, aussi ce n'est pas innocent de regarder un Modigliani, car on se regarde sois même !
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