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    Place Jemaa El Fna (Marrakech)

     

    "Pyramide d'amandes et de noix, feuilles séchées de henné, chiche-kebab, chaudrons fumants de harira, sacs de fèves, montagnes de dattes lustrées, tapis, cuvettes, miroirs, théières, verroterie, sandales en plastique, bonnets de laine, tissus criards, ceintures brodées, bagues, montres au cadran coloré, cartes postales délavées, magazines, calendriers, livres d'occasion, merguez, têtes de mouton pensives, olives fourrées, gerbes de menthe, pains de sucre, paniers d'osier, transistors vociférants, ustensiles de cuisine, casseroles en terre, coucoussiers, gilets de cuir, sacs sahariens, sparterie, artisanat berbère, talons de pipe, roses des sables, statuettes en pierres, gâteaux mouchetés, sucreries violemment colorées, pépites, graines oeufs, cageots de fruits, jattes de lait aigre, cigarettes vendues à l'unité, cacahuètes salées, cuillères et louche en bois, radios miniatures, cassettes de Djil Djilala et de Nass-el-Ghiwane, propectus touristiques, protège-passeports, photographies de Pelé, Oum Kaltoum, Farid El-Atrach, Sa Majesté le Roi, un plan de la ville de Paris, une tour Eiffel en couleur."

     

    Juan Goytissolo (Makbara)

     

    Place Jemaa El Fna (Marrakech)

     


     

     

    Place Jemma El Fna (Marrakech)

     

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    J_MAJORELLE-Souk-a-Marrakech-1.jpg.

     

    "Aller lentement, sans contrainte horaire, au gré de la foule, de son inspiration versatile : explorateur d'un monde fluctuant et mobile : adapté au rythme ambiant : nomadisme harmonieux et fécond : aiguille minuscule dans une meule de foin : égaré dans un mare magnum d'odeurs, de sensations, d'images, d'infinies vibrations : cour splendide, royaume des charlatans et des fous : utopie en guenilles où règnent l'égalité et le libertinage : transhumer d'un groupe à l'autre comme on change de pâturage : dans un espace neutre soumis à une stéréophonie chaotique, effrénée : tambourins, guitares, tambours, rebebs, discours, surates, clameurs criées : collectivité fraternelle qui ignore l'asile, le ghetto, la marginalité : monstres, déments, demeurés s'installent tout à l'aise, exhibent orgueilleusement leurs tares et leurs plaies, insultent d'un geste furieux les passants : savonaroles aveugles, récits coraniques, possédés, énergumènes, gueux pants : chacun enfermé dans sa marotte comme un escargot dans sa coquille, à rebours  d'un public indifférent, moqueur, compatissante la foule déborde sur la chaussée, cerne automobiles et voitures de place, assiège les charrettes des porteurs, encercle les troupeaux de chèvres et de moutons, présente l'aspect d'une armée populaire sans grade ni hiérarchie ou d'une gratuite et grandiose manifestation..."

     

    Juan Goytissolo (Makbara)

     

    illustration : aquarelle Jacques Majorelle  


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    Palais de la Bahia (Marrakech)

     

    "Feu des étoiles et des orangers. Palpitation des rossignols, battements des rayons de l'étoile. L'oranger écrase tout de son odeur. Le pamplemousse en fleur garde une douceur, une arrière-pensée qui manque à l'oranger.

     

    Crépitements d'oiseaux avant l'aurore, tonnerres d'oiseaux. Ils s'apaisent un peu, le jour levé. Une phrase de rossignol s'étale encore, comme un lambeau nocturne. Au premier rayon s'élance le cri acéré de l'hirondelle. Puis la gorgée liquide dont se gargarisent le loriot trivial, et le merle. Les derniers chants montent d'une grève mouillée dont chaque galet est une voix de passereau, et des baisers, des baisers, des baisers de mésanges coalisées...

     

    A midi tous se taisent, mais la colombe qu'on ne voit jamais exploite la chaleur sans se lasser, à demi voix.

     

    La muraille nue, le jardin plat, le bas divan dur. Des surfaces qui laissent courir l'oeil, rouler le corps. Un pli irrité, une allée qui monte, rebute. J'entends à côté, près de la vasque endormie, sous un dais immobile de parfum d'oranger, sur la dalle chaude, mouvement ? De l'amour ? Combien d'heures peut-on se nourrir de la contemplation d'un jardin de feuillage ? Combien de temps peut-on passer à attendre que le vent, en émouvant enfin un flambeau rigide, immense, de cyprès, qui semble soutenir un porche, nous fasse croire que c'est tout le palais qui chancelle ?"

     

    Colette

     

    Palais de la Bahia (Marrakech)

     

    Au début des années 30, la romancière Colette raconte sa longue promenade vers le Sud, jusqu'à Marrakech : "Prisons et paradis" est rempli de descriptions délicieuses comme ce texte sur son séjour à Marrakech au palais du Pacha, dans le calme et la volupté.


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     Jardin botanique de Palerme (les cactus)3

     

    "Monsieur,

     

    Vous me demandez de venir passer une huitaine de jours chez vous, c'est à dire auprès de ma fille que j'adore. Vous qui vivez auprès d'elle, vous savez combien je la vois rarement, combien sa présence m'enchante, et je suis touchée que vous m'invitiez à venir la voir. Pourtant, je n'accepterai pas votre aimable invitation, du moins pas maintenant. Voici pourquoi : mon cactus rose va probablement fleurir ! C'est une plante très rare, que l'on m'a donnée, et qui, m'a-t-on dit, ne fleurit sous nos climats que tous les quatre ans. Or, je suis déjà une très vieille femme, et, si je m'absentais pendant que mon cactus rose va fleurir, je suis certaine de ne pas le voir refleurir une autre fois...

     

    Veuillez donc accepter, Monsieur, avec mon remerciement sincère, l'expression de mes sentiments distingués et de mon regret."

     

    Ce billet signé Sidonie Colette née Landoy, fut écrit par ma mère à l'un de mes maris, le second. L'année d'après, elle mourait, âgée de soixante-dix sept ans. Au cours des heures où je me sens inférieure à tout ce qui m'entoure, menacée par ma propre médiocrité, effrayée de découvrir qu'un muscle perd sa vigueur, un désir sa force, une douleur la trempe affilée de son tranchant, je puis pourtant me redresser et me dire : "Je suis la fille de celle qui écrivit cette lettre, -cette lettre et tant d'autres que j'ai gardées. Celle-ci en dix lignes, m'enseigne qu'à soixante seize ans elle projetait et entreprenait des voyages, mais que l'éclosion possible, l'attente d'une fleur tropicale suspendait tout et faisait silence même dans son coeur destiné à l'amour. Je suis la fille d'une femme qui, dans un petit pays honteux, avare et resserré, ouvrit sa maison villageoise aux chats errants, aux chemineaux et aux servantes enceintes. Je suis la fille d'une femme qui, vingt fois désespérée de manquer d'argent pour autrui, courut sous la neige fouetttée de vent crier de porte en porte, chez des riches, qu'un enfant, près d'un âtre indigent, venait de naître sans langes, nu sur de défaillantes mains nues... Puissé-je n'oublier jamais que je suis la fille d'une telle femme qui penchait, tremblante, toutes ses rides éblouies entre les sabres d'un cactus sur une promesse de fleur, une telle femme qui ne cessa elle-même d'éclore, infatigablement, pendant trois quarts de siècle..."

     

    Colette (La naissance du jour. 1928)         


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