• Marcel Proust et Monet

     

     


    "Un tableau de Monet nous fait aimer le pays qui nous plaît.

    Il a beaucoup peint les bords de la Seine à Vernon. C’est assez pour nous pour aller à Vernon. Sans doute, nous pensons bien qu’il eût pu voir d’aussi belles choses ailleurs et que ce sont peut-être des circonstances de sa vie qui l’ont conduit là. N’importe. Pour faire sortir la vérité et la beauté d’un lieu, nous avons besoin de savoir qu’elle en peut sortir, que son sol est plein de dieux. Nous ne pouvons prier que dans un lieu consacré, en dehors de ces lieux où nous-mêmes, par des journées divines, nous eûmes des révélations. Sans doute, c’est non pas en nous une vaine idolâtrie de Monet, de Corot, qui aimera. Nous-mêmes aimerons.

    Mais avant d’aimer nous sommes timides. Il faut qu’on nous ait dit : là vous pourrez aimer, aimez.
    Alors, nous aimons.

    Les tableaux de Monet nous montrent dans Argenteuil, dans Vétheuil, dans Epte, dans Giverny l’essence enchantée. Alors nous partons pour ces lieux bénis. Et ils nous montrent aussi la nourriture céleste que peut trouver notre imagination dans des choses moins déterminées, les rivières semées d’îles dans ces heures inertes de l’après-midi où la rivière est blanche et bleue des nuages et du ciel, et verte des arbres et des gazons, et rose des rayons déjà couchants sur les troncs des arbres, et dans la ténèbre éclairée de rouge des taillis de jardins où poussent les grands dahlias. Il nous fait adorer un champ, le ciel, une plage, une rivière comme des choses divines vers lesquelles nous voulons aller, comme des choses divines où nous sommes tant déçus d’apercevoir, se promenant dans le champ, marchant vite sur la plage, une dame serrant son châle, un homme et une femme se tenant par la main.

    Nous plaçons si haut les divinités que nous adorons, que ce qui les rabaisse à des choses déjà connues, nous désenchante. C’est de l’idéal que nous sommes épris."


    (Extrait de "Ecrire la peinture - de Diderot à Sollers" Pascal Dethurens Edition Citadelles & Mazenod) 
     

    (illustration : Peupliers sur la rive de l’Epte 1891 huile sur toile 100.3x65.2cm Philadelphia Museum of Art)

     

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  • Commentaires

    16
    Mardi 24 Janvier 2012 à 19:18

    C'est vrai ! Même la triste Normandie est devenue souriante avec Monet ! Même la cathédrale de Rouen sous la grisaille est apparue pleine de mystère !

    15
    Mardi 24 Janvier 2012 à 18:59
    Il n'est pas de pays qui vu par Monet ne saurait être aimable
    14
    Mardi 24 Janvier 2012 à 16:42

    ah ben merci à toi ! je ne crois jamais aux compliments, mais il me font tellement plaisir ! (vanité des vanités, tout est vanité dit l'Ecclésiaste !)

    13
    Mardi 24 Janvier 2012 à 14:46
    Post érudits et inspirés, ce sont les termes exacts pour qualifier notre Eva. Elle est tout simplement fabuleuse!
    12
    Mardi 24 Janvier 2012 à 12:00
    je suis toujours sans voix devant ces écrits érudits et inspirés !!
    bonne semaine
    11
    Lundi 23 Janvier 2012 à 22:44

    C'est Proust qui le dit... Moi, je n'ai hélas pas son talent !

    10
    Lundi 23 Janvier 2012 à 22:34

    ouiiiii je viendrais !

    9
    Lundi 23 Janvier 2012 à 19:51

    Toi tu entends la voix, ma précieuse, parce que tu ouvres le blog toujours au début (en en-tête) mais les autres visiteurs ouvre sur l'article du jour ! Oui c'est beau, elle a une voix merveilleuse, elle chante souvent à capella... J'adore Françoise Atlan. 

    Ici tu peux l'entendre aussi (même si tu n'as pas aimé le post !!)

    http://eva.baila.over-blog.com/article-marrakech-ou-le-male-m-a-dit-la-mort-chris-tian-vidal-47834813.html

    8
    Lundi 23 Janvier 2012 à 19:18
    Personne n'a parlé du chant si pur qui accompagne ces posts. Je pense comprendre qu'il s'agit d'un chant séfarade de l'époque d'Al Andalus...
    7
    Lundi 23 Janvier 2012 à 19:13
    Oui, j'ai connu ça ! Le jour où j'ai vu le Rhône à Arles peint par Van Gogh.
    Ce n'était pas la nuit, mais j'ai vu le tableau de Van Gogh en surimpression.
    J'y retournerai de nuit et je me placerai au même endroit pour voir les reflets des lumières sur l'eau ! Tu viendras ? Je t'invite...
    6
    Lundi 23 Janvier 2012 à 15:28
    Partout ou presque le sol contient des dieux. Tu le dis très bien .
    5
    Dimanche 22 Janvier 2012 à 23:43

    Proust écrit en effet cela à propos de la peinture de Monet... Et j'ai expérimenté cette impression de révélation de la beauté (comme je le dis en réponse à Dan) ! Probablement n'aurai-je pas traversé ce paysage avec autant de plaisir si je n'avais pas eu connaissance des toiles de Monet. Il en va de même pour ce qu'il a peint des cathédrales de Rouen. C'est une impression vraiment étrange : Tu vois la peinture de Monet, et soudain, quand tu te rends sur place, tu fais "partie" du tableau... c'est comme si tu enjambais le cadre. Je l'ai ressenti vivement pour la peinture de Monet, exactement de la façon que décrit Proust. Mais cela ne veut pas dire que nous ne pouvons pas voir par nous mêmes la beauté d'un paysage... 

    PS : quand je dis "c'est une impression étrange", on parle bien toutes deux d'Impressionnisme !

    Voici le lien pour mon expérience intime avec la cathédrale :

    http://eva.baila.over-blog.com/article-monet-et-la-cathedrale-50858222.html

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    4
    Dimanche 22 Janvier 2012 à 22:40
    Est-ce qu'il veut dire que c'est l'art, la nature sublimée, qui nous fait sentir la beauté du monde ? Autrement dit, sans le filtre de l'art, sans le regard des artistes, nous ne verrions pas, nous serions incapables de VOIR par nous mêmes ?
    3
    DAN
    Dimanche 22 Janvier 2012 à 12:18
    Se "retrouver" dans un tableau est tout a fait excitant, ainsi au Havre il y plusieurs endroits où les peintres sont venus.
    Se placer au même endroit qu'eux est plus que troublant, surtout pour un peintre amateur comme moi ! Alors je comprends ton émotion !
    2
    Dimanche 22 Janvier 2012 à 11:39

    Je peux te dire mon cher Dan, que cet été (à la fin de l'été) je suis allée pour la 1ère fois à Giverny, et nous avons voulu prendre le chemin des peupliers (le plus long, hors départementale) et c'est exactement ce que décrit Marcel Proust, c'est exactement ce que peignait Monet ! Quelle aventure d'une journée ! J'en ai encore le coeur tout battant !

    1
    DAN
    Dimanche 22 Janvier 2012 à 01:08
    Proust utilise les mots comme Monet utilise les couleurs, un vrai régal
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