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Mme Bovary (Flaubert)
"Léon, à pas sérieux, marchait auprès des murs. Jamais la vie ne lui avait paru si bonne. Elle allait venir tout à l'heure, charmante, agitée, épiant derrière elle les regards qui la suivaient, - et avec sa robe à volants, son lorgnon d'or, ses bottines minces, dans toutes sortes délégance dont il n'avait pas goûté, et dans l'ineffable séduction de la vertu qui succombe. L'église, comme un boudoir gigantesque, se disposait autour d'elle : les voûtes s'inclinaient pour recueillir dans l'ombre la confession de son amour ; les vitraux resplendissaient pour illuminer son visage, et les encensoirs allaient brûler pour qu'elle apparût comme un ange, dans la fumée des parfums.
Cependant, elle ne venait pas. Il se plaça sur une chaise et ses yeux rencontrèrent un vitrage bleu où l'on voit des bateliers qui portent des corbeilles. Il le regarda longtemps, attentivement, et il comptait les écailles des poissons et les boutonnières des pourpoints tandis que sa pensée vagabondait à la recherche d'Emma."
[...] Le fiacre sortit des grilles, et bientôt, arrivé sur le cours trotta doucement, au milieu des grands ormes. Le cocher s'essuya le front, mit son chapeau de cuir entre ses jambes et poussa la voiture en dehors des contre-allées, au bord de l'eau, près du gazon. Elle alla vers la rivière, sur le chemin de halage pavé de cailloux secs, et, longtemps, du côté d'Oissel, au delà des îles.
Mais tout à coup, elle s'élança d'un bond à travers Quatre-mares, Sotteville, la Grande-Chaussée, la rue d'Elbeuf, et fit sa troisième halte devant le Jardin des Plantes.
- Marchez donc ! s'écria la voix plus furieusement.
Et aussitôt, reprenant sa course, elle passa par Saint-Sever, par le quai des Curandiers, par le quai aux Meules, encore une fois par le pont, par la place du Champ-de-Mars et derrière les jardins de l'hôpital, où des vieillards en veste noire se promènent au soleil, le long d'une terrasse toute verdie par des lierres. Elle remonta le boulevard Bouvreuil, parcourut le boulevard Cauchoise, puis tout le Mont-Riboudet jusqu'à la côte de Déville.
Elle revint ; et alors, sans parti pris ni direction, au hasard, elle vagabonda. On la vit à Saint-Pol, à Lescure, au mont Gargan, à la Rouge-Mare et place du Gaillarbois : rue Maladrerie, rue Dinanderie, devant Saint-Romain, Saint Vivien, Saint-Maclou, Saint-Nicaise, -devant la Douane,- à la Basse-Vieille-Tour, aux Trois Pipes et au Cimetière Monumental. De temps à autre le cocher, sur son siège, jetait aux cabarets des regards désespérés. Il ne comprenait pas quelle fureur de la locomotion poussait ces individus à ne vouloir point s'arrêter..."
photos eva © (Rouen, mai 2010)
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Commentaires
Un joli moment du livre que ce parcours en fiacre. Bonne soirée.Oui, j'adore ça finalement... La lecture, c'est comme l'art pictural, c'est "l'autre voyage"
Ton feuilleton est vraiment intéressant. Tu devrais faire ça pour d'autres livres. Ca te ferait voyager en suivant les histoires. Belle idée que tu as eu là!
Passe une bonne semaine.Merci pour ces belles images Eva, un plaisir que de se promener dans tes lignes également, bises et bon dimancheLes photos s'adaptent bien au récit ! Même le vitrail bleu ! Bises Eva, merci pour ce parcours derrière Emma !Moi aussi j'aime bien ! Rouen c'est le paradis des "cliqueurs" (des photographes du dimanche comme moi !)
Ce roman de Flaubert qui a fait scandale à son époque, est né d'un fait divers contemporain de Flaubert, et tous les lieux du roman sont inspirés de lieux réels fréquentés par Flaubert (y compris l'Hôtel Dieu où Charles Bovary était élève et où le père de Flaubert était chirurgien en chef). Il s'est dit également que Flaubert aurait été l'amant de Mme Delamare (Léon) ce qui explique le réalisme des impressions décrites, et la justesse de la psychologie féminine. Ce qui explique aussi que Flaubert ait dit "Mme Bovary, c'est moi" ! J'adore ce roman !
ça marche aussi avec Maupassant, avec Moravia, ça marche avec Gide, ça marche avec tous les Grands... Bises Dominique et bon dimanche (et bien sûr ça marche aussi avec les poètes africains !! qui sont tous grands !)
Si tu as pris plaisir à lire ces extraits, alors je suis récompensée au-delà de tout ! Vraiment !
Dan, la lecture, c'est l'évasion, c'est l'ailleurs, c'est... (essaie, tu verras, c'est complémentaire de l'art pictural...)
J'attends Margareth ! je n'ai pas lu Eugénie Grandet, et j'attends que tu m'en donnes l'envie...
Je suis contente que tu aies remarqué ces deux détails, parce que j'ai choisi les photos en fonction de cela : la déformation des voûtes (due essentiellement à l'APN compact) et le bleu du vitrail au fond (j'avais préparé sur le mode sepia, et je suis revenue à la photo d'origine à cause du vitrail bleu). Bon dimanche Grain
C'est très agréable cette promenade littéraire et photographique que vous nous proposez depuis quelque temps Eva. Merci pour ces bons moments. Bises et bon dimanche. DominiqueTu sais que l'envie commence à me titiller de reprendre ce livre sur les rayonnages de ma bibliothèque?Une nouvelle façon de conter les grands classiques avec des photos illustrant ce beau texte, une façon de mettre le pied à l'étrier pour ceux qui, comme moi, sont peu habitués à lire cette littérature !Figures-toi que j'avais eu la même idée avec Eugénie Grandet à Saumur (je l'avais promis il y a plus de deux ans à une étudiante chinoise !). Mais je n'ai encore pas eu le temps de m'y consacrer. C'est une excellente idée de placer un roman dans son contexte.et bien ! il en à fait du chemin ce fiacre !!!! :-)
Merci beaucoup pour ton gentil com, je suis contente que mon interprétation t'ai plu !! bise et trés bon dimanchej'aime bien la derniere , entre ombre et lumiere...bravo Eva , bon dimanche et à bientot...Je relis avec plaisir et émotion ces rendez-vous exaltés dans le décor que tu nous présentes. Le plaisir est double. je t'en remercie.L'église semble attendre Emma, tout y est les voutes qui se penchent, jusqu'au vitrail bleu au fond de la nef!
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Bonsoir Eva
Je commence à m'imprégner à nouveau d'Emma grâce à tous les liens que tu m'as indiqués. "La vertu qui succombe " comme c'est bien dit et reflète bien les mœurs de l'époque. Ton parcours est celui d'une connaisseuse !!
A l'évocation de la rue Dinanderie, il me vient un souvenir, ma mère (disparue il y a bien longtemps) disait en mettant des bijoux " je mets ma dinanderie" curieuse expression car les bijoux en question n'étaient pas en cuivre !
Merci Eva, je vais continuer à redécouvrir, bonne soirée, bises.
"je mets ma dinanderie" est une expression que je ne connaissais pas ! ça m'évoque les bijoux sonores des gitanes (ceux dont se parent les belles dans les poèmes de Baudelaire, ceux de Frida Khalo, les bijoux ethniques... Bonne soirée Nicole