• Pénélope (Naissance de l'Odyssée, Giono)

     

    penelope-bouguereau.jpg

     

    "Ma Pénélope est perdue pour moi" ; or, sur l'instant il avait encore plus envie d'elle, il la voyait belle comme elle était à son départ, debout sur l'estacade, et aussitôt il se remettait à trier les piperies de l'espérance.

     

    Il se souvenait de ce départ :

     

    Du manoir au port, ils avaient pris par les venelles allongeuses, lui couvert de fer brinqueballant, insolite au milieu des paisibles ombres sylvestres et des prés avec ses flèches et ses couteaux; elle, douce, flexible, fleurie de châles et de l'enfant gras et rose comme une grosse rose charnue née de leur amour ! Elle l'aimait pourtant, alors ! 

     

    Au détour de chaque haie, avant d'entrer dans le soleil, elle appelait : Ulysse ! puis tendait ses lèvres.

     

    Vingt ans ! Qui connaît le travail des dieux durant si longue absence !

     

    La flamme avait aplani peu à peu la bosse du foyer : ce n'était plus que braises blanches sur lesquelles ballait un petit follet bleu. Ulysse s'envivrait de cette blancheur : des frondaisons d'amandiers fleuris couraient devant ses yeux comme s'il passait au galop de son char dans les vergers de sa terre ; une grosse cèpe d'olivier s'ouvrit comme une grenade mûre, s'effrita dans le brasier soupirant et ses débris étaient pareils à des roses. Il eut soudain devant les yeux les lourds rosiers creux où l'on abritait durant les nuits de pluie les dieux de la maison en bois de figuier. Enfin, suscitée par les menus souvenirs, Ithaque hérissée apparut tout entière dans l'air épais qui tremblait au-dessus du feu."

     

    Jean Giono (Naissance de l'Odyssée)

     

    illustration : Pénélope (Bouguereau)

    « Noël...Une bergère... »

    Tags Tags : ,
  • Commentaires

    6
    Jeudi 27 Décembre 2012 à 15:30

    Il y a toujours un risque, pour les passions coupables, de se perdre en chemin ! Ulysse, est gagnant sur tous les tableaux ! Raison d'état oblige ! il était parti guerroyer ! il n'est pas pressé de rentrer au bercail... Pénélope attend patiemment... ma foi, il aurait tort de ne pas en profiter ! Il me semble que les hommes s'accomodent plus volontiers des arrangements domestiques... 

    5
    Jeudi 27 Décembre 2012 à 13:02
    Ah si l'on pouvait savoir les effets du temps sur la passion.
    On peut aussi s'éloigner en amour tout en restant physiquement proche, lente corrosion dûe à l'impossibilité de braver les lois sociales comme l'Ariane de "Belle du seigneur" ou encore Anna Karénine...
    4
    Mercredi 26 Décembre 2012 à 13:41

    Dan, je connais très peu ce peintre, mais la grande douceur de Pénélope sur ce portrait, m'a semblé correspondre parfaitement au texte de Giono !

    3
    Mercredi 26 Décembre 2012 à 13:40

    Oui Nathanaël, l'écriture de Giono est superbe ! Toujours très vivante, colorée, parfumée. Dans ce court roman (Naissance de l'Odyssée) le retour d'Ulysse est "revisité" par Giono, réécrit ! J'ai toujours été persuadée qu'Ulysse avait fait "l'école buissonnière" sur le chemin du retour, et que s'il était resté aussi longtemps loin d'Ithaque, c'est qu'il n'avait pas vraiment envie de rentrer "à la maison" !...

    2
    DAN
    Mercredi 26 Décembre 2012 à 09:54
    J'aime beaucoup ce peintre, ses tableaux sont délicat et précis, certes sa peinture est académique et n'avait rien à voir avec celle de son temps, les impressionniste, mais quel talent quand même !
    1
    Mercredi 26 Décembre 2012 à 09:43
    Que c'est magnifiquement écrit, et tragiquement beau, oui c'est beau le tragique ! Tristes retrouvailles du souvenir au présent du retour...
    Bonne journée Eva Baila ( c'est beau en entier ) et merci de l'échange d'hier...
    Nathanaël.
    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :