• "La part de l'ombre" Thami Benkirane

     Photo Thami Benkirane.

     

    La part de l'ombre.

    D’où me vient ce désir d’apprivoiser les ombres ? Cette aimantation vers les zones où la lumière se tient en retrait ?

    Dans mes déambulations photographiques, je suis très attentif à la présence des ombres, à leur orientation et à leur vigueur. Elles constituent un paramètre important dans mes compositions.

    À ce propos, l’examen attentif d’une partie importante de mes archives photographiques permet de mettre en avant ma tendance à monter, à exacerber le clair-obscur de telle sorte que le rendu des ombres soit bouché. Ce qui en conséquence ne manque pas d’opacifier et de masquer tous les détails du réel qu’elles recouvrent.

    Cette propension à valoriser les zones d’ombre peut trouver ses fondements dans ma prime culture visuelle : celle d’un enfant qui est né et qui a grandi dans l’enceinte de la médina de Fès.

    La singulière architecture médiévale de cet espace urbain est marquée par la dense concentration du bâti, par la prédominance –en dehors des artères principales– des venelles étroites, sombres et sinueuses qui se terminent le plus souvent dans l’antre jugulé d’une impasse, des murs hauts et pâles pratiquement frappés de cécité et entre lesquelles l’aménagement de voûtes et de passages couverts dérobe le ciel à la vue.

    La rue pentue de ma naissance s’apparente à s’y méprendre à un tunnel ouvert à une seule extrémité, sans ligne d’horizon en vue et où la lumière du jour peine à pénétrer.

    La nuit, l’électricité n’avait pas encore gagné l’intérieur des maisons : la bougie et la lampe à pétrole demeuraient les fées incontestées du foyer. À l’extérieur, les éclairages publics étaient faibles et défaillants.

    Les rues très mal éclairées rendaient tous les chats et tous les djinns gris. Les traverser ne manquait pas de me plonger, comme en apnée, dans une terreur noire.

    Dans le quartier où j’ai vu le jour, au milieu d’une ruelle tortueuse et continuellement plongée dans les ténèbres, on tombe à l’endroit même où elle accuse un premier coude sur l’unique bain maure qui porte le toponyme de jyâf (=étranglement) ; de quoi semer la frayeur dans la fragile imagination d’un enfant. À proximité immédiate de ce hammam, se trouve le farnatché (probablement une influence du lat. class. furnus « four » ou de l’arabe classique dont la racine trilitère [frn] renvoie au même signifié.) à qui échoit la tâche de chauffer l’eau pour le bain.

    Dans ce cratère particulièrement enténébrée, deux travailleurs de l’ombre se relayent jour et nuit pour alimenter et entretenir la flamme de la fournaise. Une ou deux fois par an, ma mère me chargeait de porter la tanjia chez le farnatché (c’est une sorte de jarre en terre qui sert à faire cuire lentement dans les cendres chaudes la préparation de même nom).

    En hiver et pour des raisons de chauffage, j’y allais également quérir des braises dans un seau métallique. À chacune de ces corvées, j’avais l’impression effrayante de vivre une descente aux enfers.

    En dépit de ces zones d’obscurité qui oblitèrent la topographie de mon enfance, cette médina frappée du sceau secret d’une sombre intériorité demeure mon champ d’action et de contemplation. 

    Si la photographie est définie comme une écriture avec la lumière, traduire et transcrire le parler de la médina dans l’idiome muet de la photographie, c’est reconnaître au registre de l’ombre le statut d’un accent à la fois beau, grave et ténébreux dans la tessiture mélodique du jour. 

    Thami Benkirane (extrait) in "La part de l'ombre dans la création artistique" (sous la direction de Mohamed RACHDI), 

    DK éditions, Collection "Entrelacs thématiques", 2017, pages 145-154

     


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  • Les vacances de Martin Parr.

     

    Martin Parr, (né à Epsom, Surrey, en 1952) depuis le milieu des années 1970, a soigneusement évité ce qui, pour l’essentiel des photographes de son temps, constitue le pain quotidien : les figures héroïques, la beauté du monde, la guerre sous toutes ses formes, la misère absolue, le journal des intimités extrêmes. Il s’est intéressé à la norme, aux classes moyennes, au tourisme de masse, à ces espaces intercalaires qui séparent l’extase et la chute ; tout ce qui n’a pas, au fond, le charisme de l’exploit ou qui est légèrement coloré par la sensation du grotesque.

    Martin Parr ne se contente pas de moquer les travers des autres, nos rêves industrialisés, nos échappatoires conçues par des experts en divertissement. Il se met dans le lot. Sa série d’autoportraits réalisés dans des boutiques touristiques où l’on incruste son visage devant les monuments. Partout, la nécessité, pour le voyageur, de ramener une preuve. Et la photographie est cette preuve, ultime, d’une expérience qui distingue. De fait, Martin Parr a anticipé la démocratisation digitale de l’ère photographique, où l’image n’est plus seulement un souvenir, elle est un lien.

    «Tout le monde prend des photos, la plupart des gens publient leurs mémoires mises en scène sur Facebook. C’est une obsession. Dans les lieux de pèlerinage, avant, on donnait de l’argent, on priait. Maintenant, on se photographie. Le tourisme est devenu la plus grande industrie du monde, une mythologie qui se substitue au réel. C’est la très simple idée que j’exploite.»

    (Source "Le Temps" du 13/09/2013)

     


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    "Dancing with Costică" Jane Long

     

     

    Photographe et artiste digitale accomplie, Jane Long, artiste australienne basée à Brisbane, a présenté une étonnante série de photographies en mars 2015 à Canberra, Australie.

    Son projet s’appelle “Dancing with Costică” car toutes les photos sont issues du site internet des archives de Costică Acsinte, un photographe roumain qui captura la première guerre mondiale en images

    Jane Long reprend les photos originales (tombées dans le domaine public), en noir et blanc, de ce photographe qu’elle revisite pour y ajouter sa touche personnelle.

    Plus qu’une “simple” colorisation Jane a aussi recréé et imaginé la scène initiale autour des personnages, en leur conférant un univers poétique presque enchanteur et envoûtant. Sans connaître la véritable histoire de ces personnages elle leur en a imaginé une autre.

    Plongés dans un monde irréel aux couleurs oniriques, les personnages se retrouvent entre deux époques.

    Là est toute la magie de cette série fascinante.

     

     


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  • "Infuser la douceur" © Nicole Cholewka

     

     

    "Les Lutins" © Nicole Cholewka

     

    Ce qui a guidé mon choix parmi la multitude d’images de Nikole, c’est bien sûr la beauté, souvent la poésie de l’instant, parfois la perfection du cadrage, alliées tour à tour à la lumière, à la tendresse, à l’humour, à la rigueur du graphisme… Des photos que jamais je n’aurais su capter… Ainsi, j’ai volé les instants magiques de celle qui, à l’exemple de Ronis « négocie l’aléatoire » avec patience et finesse. Grand merci Nikole et bon anniversaire !

     

     

     

    On peut retrouver Nicole sur son blog : L'oeil du Krop.eklablog.com/ 

    et chez Aminus : L'oeil du Krop.aminus3.com/


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