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Prisons et paradis (Colette)
"Feu des étoiles et des orangers. Palpitation des rossignols, battements des rayons de l'étoile. L'oranger écrase tout de son odeur. Le pamplemousse en fleur garde une douceur, une arrière-pensée qui manque à l'oranger.
Crépitements d'oiseaux avant l'aurore, tonnerres d'oiseaux. Ils s'apaisent un peu, le jour levé. Une phrase de rossignol s'étale encore, comme un lambeau nocturne. Au premier rayon s'élance le cri acéré de l'hirondelle. Puis la gorgée liquide dont se gargarisent le loriot trivial, et le merle. Les derniers chants montent d'une grève mouillée dont chaque galet est une voix de passereau, et des baisers, des baisers, des baisers de mésanges coalisées...
A midi tous se taisent, mais la colombe qu'on ne voit jamais exploite la chaleur sans se lasser, à demi voix.
La muraille nue, le jardin plat, le bas divan dur. Des surfaces qui laissent courir l'oeil, rouler le corps. Un pli irrité, une allée qui monte, rebute. J'entends à côté, près de la vasque endormie, sous un dais immobile de parfum d'oranger, sur la dalle chaude, mouvement ? De l'amour ? Combien d'heures peut-on se nourrir de la contemplation d'un jardin de feuillage ? Combien de temps peut-on passer à attendre que le vent, en émouvant enfin un flambeau rigide, immense, de cyprès, qui semble soutenir un porche, nous fasse croire que c'est tout le palais qui chancelle ?"
Colette
Au début des années 30, la romancière Colette raconte sa longue promenade vers le Sud, jusqu'à Marrakech : "Prisons et paradis" est rempli de descriptions délicieuses comme ce texte sur son séjour à Marrakech au palais du Pacha, dans le calme et la volupté.
Tags : voyage, écrivain
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Commentaires
Colette le dit si bien, tu l'illustres à merveille.
Nostalgie ; c'est un peu "chez moi" aussi...Je suis sûr que si Colette était encore parmi nous elle aurait un blog où l'on pourrait commenter ses écrits illustrés par Eva qui sait...;-)
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oh je sais Henri-Pierre ! je sais que c'est un peu chez toi... et lorsque Colette écrit : "j'entends à côté, près de la vasque endormie, sous un dais immobile de parfum d'oranger, sur la dalle chaude"... lorsque je lis ce qu'a écrit Colette, bien sûr ce n'est pas à la vasque du Palais de la Bahia que je pense (mais je n'avais que cette photo), c'est à la vasque couronnée de fleurs de ton patio...