• Toute petite, minuscule... (J.Gran Riquelme)




    Toute petite, minuscule dans mon souvenir d’adulte... J’ai deux ans et je suis une boule de chair assoiffée de tendresse.

    La voisine m’a tricoté une jolie petite robe de couleur rose clair en laine légère. C’est une jolie dame, une française, qui s’assied devant sa porte sur une chaise de paille, en fin d’après-midi dès que la chaleur de l’été s’adoucit et qui manipule les aiguilles avec une rapidité fascinante. Elle aiguise les grandes aiguilles, munies d’une boule au sommet, et ses mains fines, agiles, aux ongles colorés, s’activent dans un mouvement rapide et souple ; des kilomètres et des kilomètres elle fait ! Avec des laines de toutes les couleurs, pastel ou acidulées; elle crée des modèles originaux, gonflants et vaporeux, à trou-trou, artistiques quoi ! Jamais les mêmes car elle destine ses créations à tous les enfants du quartier.

    La voisine me trouve jolie. Elle dit tout le temps à Maman que j’ai de beaux cheveux. C’est vrai qu’ils sont beaux mes cheveux. D’abord ils sont blonds comme des fils d’or, ensuite, ils sont tout bouclés. Maman dit en riant que je suis frisée comme un mouton ! Elle est toute fière de moi Maman et elle se régale de travailler cette masse vaporeuse pour réaliser de lourdes anglaises et disposer quelques accroche-cœurs sur mon ample front.

    C’est son grand plaisir à Maman de bichonner ses filles. Elle en a deux. Moi, je suis la dernière donc la plus petite et forcément la plus choyée. Avec nous elle joue à la poupée. A Marisa, qui possède des cheveux châtains et raides « comme des baguettes de tambour », elle confectionne deux tresses bien lisses, bien brillantes, et elle termine son œuvre par des rubans de couleur assortis à sa robe. Ensuite elle les relève sur la tête, latéralement en les fixant avec des barrettes de métal, ce qui donne à Marisa une allure nette et altière. Ma grande sœur aussi est très jolie, très fine, mince et nerveuse, racée quoi! Avec de superbes yeux bleu-gris. Elle respire son Espagne natale.

     

    La grande fierté de Maman, c’est de nous emmener en balade dans le village et de susciter les compliments des dames françaises qui s’extasient sur la beauté de ses filles tout en constatant leur bonne tenue. Certaines vont même jusqu’à soulever la jupette pour contrôler si la culotte est immaculée. Et elles sont toujours propres les culottes de ses petites ! « Ah! elles peuvent venir voir les voisines, elles peuvent venir vérifier si les dessous de ses filles sont irréprochables! Non, elles ne lui feront pas tomber la face par terre de honte! » Maman a de l’honneur : pauvre, émigrée sans le sou, mais propre et digne.

    Toute les semaines, c’est jour de lessive. Maman sort le grand cuvier métallique, celui qui sert aussi à nous baigner en été dans l’eau tiédie au soleil, et elle fait sa « bugado », comme elle dit.
    A genou, à l’air libre, dans l’impasse où se situe notre maison, elle frotte le linge à la main avec force savon de Marseille, elle le fait mousser, le rince, le tord entre ses mains douces et fines, le laisse enfin tremper avec des boules bleues magiques qui vont lui rendre, à coup sûr, toute sa blancheur. C’est une sacrée besogne! Il faut avoir la santé pour manipuler ces kilos de tissu! L’horreur ce sont les draps... Pour eux, une seule personne n’y suffit pas. Alors Maman a trouvé une bonne âme en la personne de la « Tía Francisca ».

    La « Tía Francisca » c’est notre « Mameto » à nous! Une adorable petite vieille qui habite la maison d’à côté. Elle est tout le temps vêtue de noir mais peu nous importe. Ce qui compte pour nous, c’est qu’elle soit là tout simplement et qu’elle remplace notre vraie grand-mère maternelle, celle qui est restée en Espagne quand Papa et Maman ont décidé de venir s’installer en France. De fait, elle tient compagnie à Maman, elle lui sert de mère et par la même occasion elle nous dorlote. Des comme elle on n’en fait plus... toujours prête à s’occuper de nous et si tendre, si jolie avec ses pommettes colorées, si fine, si ridée, si petitoune... C’est un bijou de « mameto »! « Tía Francisca, j’adore ton joli petit tablier noir parsemé de minuscules fleurs blanches. Il sert à tout ce tablier, à protéger ta robe des salissures, à transporter les patates que tu vas éplucher, mais surtout à nous blottir dans ton giron. »

    J.Gran Riquelme "In vivo" 1997

    link Cendre et Braise  (site de J.Gran Riquelme)  


                                                                               (photo eva, La Pedrera Barcelone 2007)

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  • Commentaires

    29
    jibé l
    Vendredi 8 Août 2014 à 18:37
    Un beau texte simple et coloré qui fait écho à mes propres souvenirs d'enfance. Un style fluide et agréable, une touche très personnelle et une vraie signature d'écriture.
    28
    Vendredi 24 Juin 2011 à 00:45
    Parfums de l'âme, de celle de nos enfances et de ses mémoires souvent trahies mais indispensables
    27
    Jeudi 23 Juin 2011 à 13:57
    Très beau texte qui évoque aussi un peu ma lointaine enfance : le cuvier de zinc, les anglaises, les gros noeuds dans les cheveux,les tricots maison, la vie simple que j'aimais, commune sans doute à tant d'hommes et de femmes de notre génération.
    26
    Jeudi 23 Juin 2011 à 08:27

    Moi-même, je revois ma grand-mère se servir de son tablier pour ramasser des oeufs à la basse-cour, en ramenant les coins, tenus dans la main gauche... Oui c'est beau... il faut aller sur le site de Jeanine Gran Riquelme, et lire ses textes (en prose et vers libres)... Dans l'un de ses textes en prose elle décrit une ancienne TSF ! c'est délicieux, et vraiment poétique... Bisous Nelly.

    25
    Jeudi 23 Juin 2011 à 08:22

    Je crois bien que c'est une histoire vraie... mais le plus extraordinaire, c'est que ce récit soit aussi vivant, aussi "animé", aussi "habité"... 

    24
    Jeudi 23 Juin 2011 à 08:19

    Cette photo a été prise à la Pedrera (immeuble conçu par Gaudì à Barcelone). Tout le mobilier des appartements qui se visitent (Musée) est "art déco". Cette petite statue ne risque donc pas de se retrouver dans un jardin (ou alors, en résine de synthèse !). Bises.

    23
    Jeudi 23 Juin 2011 à 07:45
    Quelle belle façon toute simple d'évoquer les souvenirs. A aucun moment on ne peut imaginer que cela ne se soit pas passé exactement comme il est décrit, c'est si vrai, si naturel.
    22
    Jeudi 23 Juin 2011 à 07:32
    Bonjour Eva,

    c'est le genre de petite statue qui trônent au milieu des fleurs et des gros cailloux dans les jardins....Alors que fais t elle donc perchée sur ce socle ? As t elle peur d'un chien ou d'une sourie ? lol ;-)

    Bisous Eva, bonne journée
    21
    Mercredi 22 Juin 2011 à 22:41
    le tablier qui servait à tout ...
    c'est un bel extrait qui coule tout seul à la lecture.
    Bisous eva :-)
    20
    Mercredi 22 Juin 2011 à 09:29
    Merci pour ce superbe texte ;) comme elle est belle la souvenir d'enfance ;) bonne journée
    19
    Mercredi 22 Juin 2011 à 08:35

    C'est cela le talent : non seulement "écrire bien", "avoir un style, une belle plume", mais surtout toucher le lecteur, le séduire et l'émouvoir...

    18
    DAN
    Mercredi 22 Juin 2011 à 08:06
    Je ne suis pas "expert" en littérature comme tu le sais, mais ce récit coule à merveille dans mes oreilles !
    17
    Mardi 3 Mars 2009 à 19:21

    Il y a la joie d'écrire, il y a la joie d'être lu, et puis il y a la joie de lire...
    De l'auteur au lecteur  passe une émotion, une connivence...
    (qui se rapproche un peu de ce que je définis comme les affinités électives), 
    c'est un grand plaisir partagé, et sans doute pas si rare que cela...
    Je t'embrasse, toi, El Duende, toi "qui a les mots". eva.

    16
    Mardi 3 Mars 2009 à 19:01
    Merci, du fond du coeur, à tous ceux qui ont été sensibles à ce texte, qui aiment les mots pour ce qu'ils traduisent, comme matière à susciter le rêve, à ceux qui savent ce qu' écrire signifie. J'irai, à mon tour, leur rendre visite sur leur site pour le partage.A bientôt donc, et mes amitiés à tous. J.G.R.
    15
    Lundi 2 Mars 2009 à 08:20

    ... des souvenirs d'enfance comme on voudrait tous en avoir. Merci Philib.

    14
    Dimanche 1er Mars 2009 à 22:03
    Bien joli texte...... Merci. Bonne soirée Eva.
    13
    Samedi 28 Février 2009 à 21:34
    Sortie des embouteillages ? Nous vous souhaitons une agréable soirèe et un heureux dimanche.Bises
    12
    Samedi 28 Février 2009 à 15:55

    Oui, une VRAIE signature... et du talent.

    11
    Samedi 28 Février 2009 à 15:54

    C'est toute la grâce et la fraîcheur de l'enfance...
    Comme toujours, tu exprimes  parfaitement ce que j'ai voulu saisir en prenant cette photo...
    L'impression exaltée par l'éclat du marbre peut-être, ou plus simplement la pureté d'un "biscuit" désuet, ou encore l'humble blancheur d'une petite statue en plâtre...
    Merci Jeanine pour ce merveilleux texte. Je t'embrasse. eva.

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    10
    Samedi 28 Février 2009 à 15:38

    Je ne me lasse pas de ce trésor fait de ces délicieux souvenirs d'enfance, trésor qui m'a fait défaut. Merci Dominique, de votre fidélité amicale. eva.

    9
    Samedi 28 Février 2009 à 11:18
    bon week-end pascale
    8
    Samedi 28 Février 2009 à 10:34
    La statuette de la Pedrera à Barcelone, c'est aussi la magie de l'enfance, le temps béni où l'enfant ne se sait pas encore mortel...La petite fille, coiffée avec un bandeau comme les dames en 1930, relève sa robe, avec la grâce de sa féminité naissante. Elle esquisse un pas de danse, comme elle l'a vu faire aux adultes, elle sourit : c'est un instantané, un moment de bonheur, pris sur le vif, par la sensibilité de l'artiste. Un moment unique, inestimable. J.G.Riquelme.
    7
    Samedi 28 Février 2009 à 08:45
    Très beau texte sur la vie de tous les jours et ses plaisirs et bonheurs simples... Merci à Jeanine de nous offrir cela. Amitiés. Dominique
    6
    Samedi 28 Février 2009 à 08:30

    Lulu est celui que j'ai gardé le plus longtemps : il se tenait à l'écart des voitures, des chasseurs, et... des souris ! Bises. eva.

    5
    Samedi 28 Février 2009 à 08:28

    Les mots de Jeanine Gran Riquelme sont empreints de poésie, des couleurs, des saveurs et des parfums de l'enfance qui font que l'on est tout de suite transporté là où elle consent à nous emmener... Merci d'être passée Claire.

    4
    Vendredi 27 Février 2009 à 23:11
    Trés joli texte. A+
    3
    Vendredi 27 Février 2009 à 21:13
    ca donne envie de le lire !!
    2
    Vendredi 27 Février 2009 à 20:55
    Bonne soirèe..Avons découvert "Lulu"..Admirable de tranquillité..et de réalisme (on l'imagine ronronnant)"Rubrique Images" Bises
    1
    Vendredi 27 Février 2009 à 18:50
    J'ai trouvé ce texte attachant ! Mon fils aussi a eu des boucles souples et j'ai eu du mal à me résigner pour lui couper les cheveux quand il est entré en maternelle. Amitiés et à +
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