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Vert paradis
Du plus loin qu’elle se souvienne, elle avait toujours aimé la peinture… Ces petites fenêtres ouvertes sur l’imaginaire de son existence d’enfant solitaire l’avaient toujours sauvée du pire.
Encore maintenant, lorsqu’elle ferme les yeux, elle revoit le fils des voisins, un grand garçon de 20ans, qui s’adonnait à cet art magique et mystérieux en chantant Charles Trenet. Elle voit la lumière dans les vagues dorées de ses cheveux, elle reconnaît le ciel de son regard vif et malicieux, elle se souvient de l’odeur enivrante de l’essence de térébenthine et le parfum de l’huile de lin… Elle avance un doigt vers la palette barbouillée de couleurs voluptueuses, elle caresse les pinceaux rassemblés en bouquets dressés dans des pots… Elle rayonne de bonheur, elle sourit aux anges, nul doute que la vraie vie est là, dans ce petit atelier improvisé… A l’abri de tous les chagrins… loin des grands…
Elle adore son artiste… Elle a 5ans, il est son premier amour. Elle croit qu’ils se marieront un jour ! Bien sûr, elle sait qu’elle est petite, et qu’il est grand, mais elle n’en doute pas, il l’attendra ! Il est son soleil, sa lumière, sa joie, son bonheur.
Ce fut son premier amour, ce fut son premier chagrin… Un jour funeste, elle apprit qu’il avait déjà deux femmes dans sa vie : son amoureuse et une petite fille à eux. Décidément, personne ne l’aimerait jamais… Tout le monde l’abandonnerait toujours… Pauvre apprentissage banal de la vie ordinaire !
L’épilogue est bien plus triste cependant : ce garçon obligé de faire vivre sa famille fut embauché comme cuisinier sur un bateau (la seule traversée qu’il devait faire)... Le bateau a coulé, il est mort noyé… Plus tard, elle a gardé longtemps l’article du journal dans son portefeuille, qui racontait cette tragédie… longtemps… avec la photo de ses parents à elle… longtemps...
eva, 7 septembre 2012 ©
Tags : enfance, mots, peinture
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Commentaires
Si peu de mots pour dire tant et tant sur les amours impossibles, les désenchantements certains, et les tragédies imprévisibles
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Vendredi 14 Avril 2017 à 18:53
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34luc delvauxVendredi 14 Avril 2017 à 02:00Non, la vie n'est pas un vert paradis, c'est aussi pour cela qu'il existe la peinture et des peintres afin de lui redonner les couleurs qui très souvent lui font défaut. C'est une bien belle histoire contée avec une pudeur chagrine!
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Mardi 11 Avril 2017 à 18:56
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Les mots me manquent mais pas les larmes. Et puis, difficile de parler avec cette boule dans la gorge... Que c'est triste et beau, cette histoire. On habite tous notre passé, et tu le raconte avec une émotion intacte. Merci. Je t'embrasse Eva.
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Mardi 11 Avril 2017 à 15:40
C'est un billet ancien que j'ai remis en tête de blog parce qu'une amie m'a demandé récemment pourquoi j'aime tant l'Art et les Artistes (moi qui ne suis pas issue d'une famille d'artistes)... J'ai mis un moment à répondre, ne sachant d'où me venait cette préférence, et puis je me suis souvenue brusquement de ce billet racontant une anecdote fondatrice de ce penchant... Nous aimons tous quelques peintres bien sûr, mais moi, je les aime tous, avec leurs différences de technique et de sensibilité, oui, je les aime tous... Ils m'apportent tant... Merci Nikole pour ton com, et je t'embrasse aussi.
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Bonjour Eva, ton texte est magnifique, on sent le vrai des émotions et tu peux te dire qu'il n'est pas mort puisqu'il demeure dans ton souvenir. Bises pour une belle journée
Les odeurs de la vie, les odeurs du bonheur, les odeurs de la souffrance, les odeurs de la beauté, toutes concentrées dans les odeurs de la peinture…..
Beaucoup d'émotion en te lisant ! c'est vrai , l'enfance n'est jamais très loin....
J'embrasse cette petite fille
24el duendeVendredi 8 Août 2014 à 18:15Tu m'as épaté ma belle! Epaté ! C'est très bien écrit, l'émotion du souvenir est intacte, sans être pathos... Très, très bon...23LauraVendredi 8 Août 2014 à 18:15Bravo pour ce superbe texte dont je savais qu'il était de toi dès le premier mot...
petit bijou.
Mais "vert paradis" quand il n'y a que du rouge sur la photo ???
Rouge: la vie?
Et vert... la campagne.......?
Belle bise.22Véronique LaidebeurVendredi 8 Août 2014 à 18:15Quel beau texte, Eva, de commentaire, point, tout est dit avec simplicité sobriété et superbe écriture, tout se sent et passe direct vers le coeur (surtout quand l'on a autour de soi des enfants de cet âge).Belle rentrée, Eva!!!21Jean-JacquesVendredi 8 Août 2014 à 18:15Très beau texte, en effet, que ce vert paradis empreint de sensibilité, par petites touches qu'offrent les couleurs de la palette de la vie, avec ses bonheurs et ses malheurs, ses hauts et ses bas, ses joies et ses peines... Mais, fort heureusement,cette merveilleuse palette ne présente pas seulement que du blanc et du noir... Ravi, Eva, d'avoir fait votre connaissance.Et les épousailles ont eu lieu Éva, puisqu'en ton souvenir il hante toujours ton âme de délicieux émois, et tu ne perdras jamais une alliance plus précieuse que l'or : la peinture et cet amour passionné que tu lui portesah oui... Max Rouquette... je n'ai pas pensé à lui, sinon, je n'aurais pas donné ce titre, je n'aurais pas osé...
Quand j'ai vu le titre, j'ai pensé au Verd Paradis de Max Rouquette, qui disait lui-même que le titre était trompeur ...Je vous remercie pour votre passage... Le hasard a voulu que ce billet traduise un souvenir personnel, et ces billets ne sont pas les plus nombreux... Il y a plus de souvenirs de voyages que de confidences sur ce blog (heureusement)... J'espère que vous avez trouvé les photos d'Etretat dont nous parlions ce matin ainsi que les extraits de Maupassant et de Flaubert... @ très bientôt Jean-Jacques, avec plaisir...
Ce n'est pas un souvenir douloureux... c'est si loin, si loin... je l'avais presque oublié vois-tu...
Ah Eva comme le souvenir peut être beau même s'il est douloureux. Tes mots nous font vraiment vibrer avec toi à tes amours enfantines. Tu peins avec des mots. BisesMerci Mario, l'histoire est vraie du début à la fin, elle est un élément fondateur de ma personnalité, elle se termine un peu tragiquement, mais c'est la vie... Bises à vous deux et bon week-end
Merci beaucoup Véro, ton com me touche beaucoup, l'enfance n'est jamais loin en chacun de nous, et bienheureux celui ou celle qui est entouré de ses petits-enfants... Bises chère Véro
Merci Laura, le titre fait référence au "vert paradis des amours enfantines"... et non à la campagne, et rouge la joie, rouge le chagrin, rouge la colère, rouge la lutte... rouge la VIE quoi !... Bises Laura et bon week-end à toi
très beau texte chère Eva, j'ignore si l'histoire est véridique ou non...En tout cas l'histoire m'attriste !
Bonne journée !Je m'attendais à une grande signature, et c'est la tienne qui apparait, alors la petite signature deviendra grande !merci, parfois, j'arrive aussi à épater mon mari... mais ce texte, il ne l'a pas encore vu...
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Bonjour Eva,
Ce texte est bouleversant ! Quelle éloquence ! Ta manière de dire est si émouvante, c'est du grand Art !
Combien faut-il de larmes pour guérir un chagrin d'enfant ? Il est bien difficile d'effacer de tels souvenirs ...