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Le petit port bleu (André Suarès)
La petite rade est faite au tour. Elle est modelée comme une double coupe par le maître ouvrier qui boit la mer dans son verre. Des îles ciselées en marbre rose ou en pierre bleue, selon les heures, sont posées sur l'eau, comme une table des aiguières. Elles ferment le petit port, et la falaise, à pic, le partage en deux. Les deux vasques sont pareilles, l'une devant l'autre, telle une grosse main d'homme à côté d'une main d'enfant ouverte : le port est en miniature logé dans la grosse main, et le doigt du milieu, c'est la jetée blanche.
Tout est bleu, bleu, bleu ; et les pierres sont blanches. La neige n'est pas d'un blanc plus pur que ces pierres au soleil entre la mer et le ciel bleu. Au fond, des collines pelées, à base d'argile rouge, font la haie contre le vent.
Tirées sur les galets, peintes en vert et en bleu, les barques semblent toutes neuves. Large et long, le quai serpente suivant la courbe de la mer qui clapote. Le quai est une promenade où ne musent que deux ou trois bons vieux ; ils sont bien cuits, le soleil leur a mis sur la peau une peau d'oignon mûr ; des filets sèchent, des réseaux d'or noir, magnifique dentelle ; des pêcheurs accroupis les réparent, jambes et pieds nus. On sent un parfum très fin de goudron.
A l'horizon de terre, les montagnes sont noires de pins, et, sur le rivage, descendent jusque dans la vague, les collines du vert le plus gris. Le ciel est bleu, la mer est bleue, le calme est bleu. Tel était le port du royaume où Nausicaa, jeune fille, reçut le divin Ulysse.
André Suarès. (Croquis de Provence, 1952)
Paul Cézanne : le Golfe de Marseille vu de l'Estaque (1878-1879) illustration n°1
Paul Cézanne : l'Estaque vue du Golfe de Marseille (illustration n°2)
Dans une lettre de 1876 à Pissaro, Cézanne décrit le paysage panoramique qui s'offre à ses yeux et parle du "soleil effrayant" qui "transforme les objets en silhouette". Cézanne, profondément attaché à sa région d'origine y puise certains des motifs récurrents et emblématiques de son oeuvre. Les deux plus importants sont la Montagne Sainte Victoire et le Golfe de l'Estaque.
André Suarès, écrivain et poète français, est né à Marseille en 1868. Si plus d'un demi-siècle sépare le poète et le peintre, on peut penser qu'ils nous décrivent le même paysage méditerranéen. Suarès écrit encore : "En Provence, je suis en rade. Il n'est point de port qui donne le départ à l'égal de Marseille. Il pénètre au coeur de la cité ; il vient chercher l'homme au pied du lit, au saut du train. Tout y parle de départ, tout s'y précipite [...] La mer à Marseille ne connait pas le flux ni le reflux, ou si peu que rien [...] Le fond grec et provençal de ce peuple repousse le chaos ; une gaîté puissante est le second mistral qui souffle du Rhône sur les collines de l'Ionie [...] Marseille est universelle. C'est le port comme jadis Alexandrie dut l'être."
lire aussi : http://www.lapenseedemidi.org/catalog/revues/revue1/articles/13_suares.pdf
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Commentaires
Du bleu et du soleil, tout ce qui nous manque.
Heureusement qu'existent les mots et les images.Magnifique... J'ai envie de faire mon balluchon !!!!
Beau voyage texte et image.
Merci Eva .Je te souhaite une belle soirée Eva ! A la prochaine aventure !Merci Eva, pour le lien " un rêveur d'émotion" je ne connaissais pas ce poète
Merci pour ce joli partage, très belle illustration , ce bleu est magnifique !
Bises
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et les mots trouvent toujours leurs images...