• "Por trás daquela janela" José Afonso

     "Por trás daquela janela" José Afonso

     

    Prison de Caxias (proche de Lisbonne, Portugal)

     

    "Lisbonne. - Commençons par le plus horrible, le plus médiéval, le plus barbare : les cellules souterraines de la prison de Caxias, où les prisonniers politiques pataugeaient comme des rats dans l'eau boueuse et froide. Ces " celas da agua " les biens nommées, anciens culs-de-basse-fosse de la forteresse de Caxias, communiquent par des puits étroits avec le Tage. À chaque marée, les détenus sentaient, dans l'obscurité totale, l'eau monter jusqu'à leur poitrine.

    Beaucoup de Portugais ignoraient ce raffinement des inspecteurs de la police politique, qui punissaient de cette manière les prisonniers refusant de parler sous la torture. Beaucoup, aujourd'hui encore, ont peine à y croire. Le jeune officier de marine, qui nous a accompagné dans cette visite, ne dissimule pas son dégoût. Un escalier aux marches étroites et usées, encombré d'immondices et de gravats, conduit à une galerie où l'eau clapote. Les fusiliers marins chargés de la surveillance des quelque deux cents agents de l'ex-PIDE, actuellement incarcérés dans des cellules confortables, au troisième étage du réduit nord de Caxias, ont amené des canots pneumatiques pour explorer ce dédale. À la lueur d'une torche, sur le mur humide, un nom griffé et une date : Americo Soares, 1941... 

    Avec ses murs blancs crépis à la chaud, ses tourettes sur la colline, Caxias, vue de la route qui mène à Estoril, ressemble à un château d'opérette. Des bois de pins-parasols l'entourent joliment. Des eucalyptus embaument. La surveillance extérieure de la forteresse-prison continue d'être assurée par des gardes républicains. La garde des détenus et l'instruction des dossiers de la PIDE sont à la charge de la marine. " Parce que, disent les officiers, nous avons dans nos rangs des avocats et des juristes compétents. " 

    Le réduit sud de Caxias, à quelque 300 mètres du fortin principal, était réservé aux Interrogatoires poussés. Des pièces claires, presque nues, flanquées d'une petite salle d'attente, avec bat-flanc et douches, donnent sur un long couloir insonorisé. Des fils électriques mal arrachés par les militaires pendent aux murs. La torture était psychologique et audio-visuelle. Pas de traces visibles : un prisonnier soumis aux supplices de la " statue " et du " sommeil " pouvait s'effondrer, délirer, perdre conscience. Il était ranimé. Dans une pièce centrale de contrôle, équipée d'amplificateurs, des agents lui envoyaient alors, pour varier, un tonnerre de bruits, d'explosions et de hurlements insupportables. Les services du DOPS brésilien, qui ont pris quelques leçons ici, appellent cela le " téléphone " (Le Monde, Marcel NIEDERGANG, publié le 15 août 1974 à 00h) 

     https://www.lemonde.fr/archives/article/1974/08/15/une-visite-a-la-prison-de-caxias-des-cellules-d-eau-au-telephone_3090809_1819218.html

     

     José Afonso, 'Por trás daquela janela'; morceau de l'album "Eu vou ser como a toupeira", de 1972.

    "Cette chanson a été dédiée au communiste Alfredo Matos [frère de Conceição Matos, également militant du PCP et victime de la PIDE]. Lors de son arrestation par la PIDE [Polícia Internacional de Defesa do Estado (1945-1969), successeur du PVDE (1933-1945) et prédécesseur du DGS (1969-1974), les trois polices politiques de la dictature fasciste portugaise (1926-1974)].

    Il a été torturé avec la méthode de la "statue", empêché de dormir pendant des jours d'affilée. De nombreux détenus sont morts en prison ou, lorsqu'ils sont sortis, ils n'ont jamais pu se réinsérer dans la société.

    Dans cette chanson, l'isolement du prisonnier ressort, le mur qui existe entre le silence extérieur et les cris à l'intérieur. José Afonso a également été arrêté par la PIDE et s'est retrouvé dans la prison de Caxias, où il a écrit les chansons qui figurent dans le disque "Venham mais cinco". Parce qu'il a toujours vécu la réalité du régime dictatorial (contrairement aux chanteurs qui se sont exilés, comme Sérgio Godinho et José Mário Branco), José Afonso a écrit davantage de textes sur le sort des membres de l'opposition (communiste). C'est le cas de "Por trás daquela janela". Ses propres expériences lui permettent de saisir la situation d'Alfredo Matos avec une telle compréhension et familiarité. Cela accentue la force de conviction presque invincible qui l'a aidé à résister aux persécutions et devait servir à encourager les compagnons : la souffrance ("Plus dure est la meule/ Et la foi ta compagne" ; "Et ton profil annonce/ Sur ce mur froid" ; "Une chanson de joie") les temps viendront où l'on pourra chanter et vivre librement."

    Oona Soenario, "La chanson d'intervention portugaise - contribution à une étude et à la traduction de textes", Université d'Anvers, 1994-1995.

    [à 2.01 oeuvre de José Dias Coelho, militant du PCP, tué par la PIDE]

     

     

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  • Commentaires

    5
    Henri-Pierre
    Lundi 28 Novembre 2022 à 18:34

    Jusqu'où peut aller la barbarie ?
    ça soulève le cœur et brouille l'entendement...

      • Lundi 28 Novembre 2022 à 18:56

        oui, jusqu'où ? ça semble sans limite, sans frontières, ni dans l'espace, ni dans le temps...

    4
    Samedi 22 Octobre 2022 à 08:47

    Cette complainte est émouvante elle constitue un véritable homme  à un homme qui s'est battu pour des valeurs destinées à des meilleures conditions de vie.

    Il existe malheureusement dans notre monde troublé bien des centres pénitentiaires à la réputation sulfureuse et cruelle.

    Les conditions de détention des opposants politiques  à des régimes non démocratiques sont difficilement supportables, mais des chapes de plomb font que les secrets sont bien gardés.

    La prison portugaise  est un exemple parmi tant d'autres de la cruauté humaine.

    Bon week end Eva

    3
    Vendredi 21 Octobre 2022 à 11:14

    La monstruosité de ce qu'on appelle les "humains", pour certains, me terrasse. Mon cœur saigne si souvent. Je me raccroche aux pépites de Beauté de l'amour des miens et à celles de la Beauté de certaines choses. L'équilibre est si précaire. Il faudrait être égoïste et ne rien savoir. Mais on s'en voudrait.
    L'enfermement me ferait hurler de panique. Que dire de ceux qui, en plus, ont à subir des choses insupportables au sens premier du terme, que le corps ne supporte pas, qui rend dingue le cerveau.
    Je ne comprends pas ce monde. Je ne comprends pas la barbarie.
    Et malheureusement, la haine, les traitements sordissimes et les assassinats abjects me rendent haineuse, et j'ai envie de faire subir la même chose à ceux qui les exécutent.
    Quelle tristesse.
    Baisers.

      • Vendredi 21 Octobre 2022 à 11:49

        Un pays entièrement tourné vers l'Océan, un pays à l'origine des grandes découvertes, un pays qui a tissé sa démocratie à force de résistance, sans violence en retour, grâce à l'armée (oeillet au fusil)... Une révolution des oeillets dont on ne parle plus...  et pourtant si proche dans le temps... Un pays qui force l'admiration. Je t'embrasse Nikole, et je dis moi aussi, que la Terre est assez grande pour que chacun puisse vivre, vivre sans guerre, sans violence, sans haine, sans jalousie d'aucune sorte. Vivre dans l'amour...

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