• Roubaix, une lumière.

     

    Roubaix, une lumière.

     

     

    La lumière, c’est Daoud – et avec lui la grandeur de l’acteur Roschdy Zem – commissaire de police et enfant du cru, d’emblée méta réel dans les deux registres. Origine maghrébine, souvenirs amers plein la hotte mais sourire absolu, déterminé, supra conscient, ultra-lucide.

    Daoud, c’est le miracle de Noël fait homme. Là où il paraît, la lumière s’allume. Son jeune lieutenant, Louis, l’admire d’autant plus qu’il trompe quant à lui dans le corps policier une vocation avortée à la direction sacerdotale des âmes. Daoud, hétérodoxe, médiumnique, inquiétant et rayonnant à la fois. Tout cela se précise dans la seconde partie du film. Parce que l’incendie dans la cour d’immeuble n’a pas fini de parler. Il masque le cadavre d’une vieille femme détroussée dans son appartement, un acte criminel abject et deux jeunes suspectes, voisines de cour croisées au cours de l’enquête. 

    On a nommé le couple d’amantes déglinguées et décavées Claude et Marie, causes d’un malaise possible dans la réception du film. Le souffle tiède de l’imposture saisit en effet à la vision de Léa Seydoux et Sara Forestier affublées des stigmates ostensibles de la misère, le rouge au nez, le tic aux lèvres, la graisse aux cheveux. On est pourtant ici au cœur du film. Et le défi y est double. Les imposer d’abord au risque de l’invraisemblance, précisément au nom des puissances de la fiction. Les humaniser ensuite au cours du marathon mental que constitue l’interrogatoire mené par Daoud et son équipe. Claude qui résiste et qui manipule l’affaire, au nom de son enfant. Marie qui n’a rien d’autre que Claude dans sa vie pour ne pas mourir sur le champ et qui au contraire les charge toutes deux. Etrange ballet d’aveux et de dénégations, d’arguments retors et de besoin d’expiation, où l’abjection et l’amour se cognent violemment l’un à l’autre. Elles avaient tout de même étranglé la vieille femme pour lui dérober sa télé et du produit vaisselle… Ce film, c'est le témoignage d'une humanité perdue.

    Le crime comme symptôme social, comme violence expiatoire et climax passionnel n’intéresse pas Arnaud Desplechin. Il ne le représente d’ailleurs même pas. Le crime comme témoignage de l’existence et de l’opacité du Mal, sa reconstitution comme reconquête maïeutique – par les mots et par les gestes – d’une humanité perdue, voilà en revanche qui justifie sa recherche sur la possible représentation de l’abjection. Cette longue et poignante reconstitution de l’acte sur les lieux du crime est inspirée d'un fait divers de 2002 : à Roubaix, deux pauvres filles y tuent une pauvre vieille dans l’espoir de lui voler des économies dont elle ne dispose même pas. C’est le propre d’un système qui, tenant pour non profitable à ses intérêts le droit des plus démunis à un minimum de dignité, envoie en connaissance de cause à la casse un peuple de reclus. Roubaix, une lumière montre qu’en vérité ce spectacle nous concerne et cette violence nous atteint.

    Source Le Monde

     

    Ce n'est pas un film policier, c'est un conte de Noël version "très noire", c'est la ville natale d'Arnaud Desplechin. Il la filme comme personne car on est dans les ténèbres, dans un monde complètement délabré, avec des maisons de briques trop grandes pour les habitants, avec en plus une misère qui suinte de partout...

     

     

    « L'île introuvable...Pier Paolo Pasolini. »

  • Commentaires

    4
    Vendredi 26 Juin 2020 à 18:02
    Henri-Pierre

    Les fruits de la misère.
    Ni blâme ni rédemption. La misère.

      • Vendredi 26 Juin 2020 à 23:28

        Le personnage de Daoud le sait... il ne cherche pas le mobile, comme tout autre enquêteur ordinaire, parce qu'il n'y a pas de mobile... il ne cherche pas "pourquoi", il cherche juste "comment"... 

    3
    Dan
    Vendredi 26 Juin 2020 à 15:36

     

    Il faut aussi remarquer la fantastique interprétation des deux femmes suspectes, Léa Seydoux et Sara Forestier, j’ai trouvé leur prestation absolument parfaite, avec auprès d’elles un non moins fantastique Roschdy Zem, il faut dire que diriger par Arnaud Desplechin il ne pouvait en être autrement !

     

      • Vendredi 26 Juin 2020 à 15:44

        Un film étonnant ! Pauvre "Hauts-de-France terriblement sinistré"...

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :