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    Aube

     

    Lumière qui va toujours 

    devant, je te prendrai

    par la main, ce sera soudain

    plus simple, les choses

    et les gens, les mots qui durcissaient

    sous la langue, tout

    sera transparent pour nous, lumière

    qui n'a pas de lieu, voilà que tu t'arrêtes

    et que mon mal

    s'arrête aussi et que tu m'attends.

     

    Claude Esteban (Le jour à peine écrit)

     


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    Nous mettons nos pas nus dans l'eau du rêve,

    Elle est tiède, on ne sait si c'est le réveil

    Ou si la foudre lente et calme du sommeil

    Trace déjà ses signes dans des branches.

     

    Yves Bonnefoy (Dans le leurre des mots)



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    Beynac

     

    Longtemps nous avons vécu, dans la joie, les caresses mutuelles ;

    Ah ! quel plaisir  - c'est l'heure de nous quitter - Adieu mon Invention !

    Non, je ne veux rien précipiter,

    Nous avons depuis si longtemps vécu, dormi en osmose ensemble, fusionné nos deux en un ;

    Si nous mourons, nous mourons ensemble (donc nous serons toujours un),

    Si nous allons quelque part, nous irons ensemble au devant de l'inconnu,

    Qui sait si nous ne serons pas plus heureux plus joyeux, dans la découverte,

    Qui sait si tu n'es pas en train de me conduire vers des chants plus vrais (oui qui sait ?)

    Qui sait si ce n'est pas toi le bouton de porte de la mort

    qui s'ouvre qui tourne alors à la fin,

    Adieu et bonjour mon Invention !

     

    Walt Whitman (traduction Jacques Darras) Poésie-Gallimard 

     

    Beynac 1


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    Lady Lilith 

    "Not a drop of her blood was human,

    But she was made like a soft sweet woman" 

    toile et citation de Dante Gabriel Rossetti

     

    "Alors, il aima Lilith, la première femme d'Adam, qui ne fut pas créée de l'homme. Elle ne fut pas faite de terre rouge, comme Eve, mais de matière inhumaine ; elle avait été semblable au serpent, et ce fut elle qui tenta le serpent pour tenter les autres. Il lui parut qu'elle était plus vraiment femme, et la première, de sorte que la fille du Nord qu'il aima finalement dans cette vie, et qu'il épousa, il lui donna le nom de Lilith.

     

    Mais c'était un pur caprice d'artiste ; elle était semblable à ces figures préraphaélites qu'il faisait revivre sur ses toiles. Elle avait les yeux de la couleur du ciel, et sa longue chevelure blonde était lumineuse comme celle de Bérénice, qui, depuis qu'elle l'offrit aux dieux, est épandue dans le firmament. Sa voix avait le doux son des choses qui sont près de se briser ; tous ses gestes étaient tendres comme des lissements de plume ; et si souvent elle avait l'air d'appartenir à un monde différent de celui d'ici-bas qu'il la regardait comme une vision.

     

    Il écrivit pour elle des sonnets étincelants, qui se suivaient dans l'histoire de son amour, et il leur donna le nom de Maison de la Vie. Il les avait copiés sur un volume fait avec des pages de parchemin. L'oeuvre était semblable à un missel patiemment enluminé. 

     

    Lilith ne vécut pas longtemps, n'étant guère née pour cette terre ; et comme ils savaient tous deux qu'elle devait mourir, elle le consola du mieux qu'elle put.

     

    "Mon aimé, lui dit-elle, des barrières d'or du ciel je me pencherai vers toi ; j'aurai trois lys à la main, sept étoiles aux cheveux. Je te verrai du pont divin qui est tendu sur l'éther ; et tu viendras vers moi et nous irons dans les puits insondables de lumière. Et nous demanderons à Dieu de vivre éternellement comme nous nous sommes aimés un moment ici-bas."

     

    Marcel Schwob

    Lilith (coeur double). Ed. Paul Ollendorf, Paris 1891 (p.87)


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