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    Essaouira

     

    La chair est triste, hélas ! et j'ai lu tous les livres.

    Fuir ! Là-bas fuir ! Je sens que des oiseaux sont ivres

    D'être parmi l'écume inconnue et les cieux !

    Rien, ni les vieux jardins reflétés par les yeux

    Ne retiendra ce coeur qui dans la mer se trempe

    O nuits ! Ni la clarté déserte de ma lampe

    Sur le vide papier que la blancheur défend

    Et ni la jeune femme allaitant son enfant.

    Je partirai ! Steamer balançant ta mâture,

    Lève l'ancre pour une exotique nature !

    Un Ennui, désolé par les cruels espoirs,

    Croit encore à l'adieu suprême des mouchoirs !

    Et, peut-être, les mâts, invitant les orages

    Sont-ils de ceux qu'un vent penche sur les naufrages

    Perdus, sans mâts, sans mâts, ni fertiles îlots...

    Mais, ô mon coeur, entends le chant des matelots !

     

    Stéphane Mallarmé (1842-1898)

     

     

     

    La chair est joyeuse mon ami, et j’ai tant à lire encore…

    Fuir bien sûr, fuir ! Faire l’oiseau ivre, au-dessus de l’écume et des vieux jardins moussus derrières les grilles… Rien, rien ne retiendra mon âme qui dans tes yeux se perd, rien ne retiendra mon cœur échoué dans la corbeille de tes mains…

    O nuits ! ni la clarté déserte de ma lampe sur le vide noir du tapis, ni le souvenir de l’enfant serré contre mon sein… Je partirai, un jour je partirai…

    Lève l’ancre pour un lointain pays, capitaine, ô mon capitaine, crois encore à l’adieu des mouchoirs… Crois à ce lointain perdu, à cette plage déserte, loin de tout,  loin de tout… Loin du bruit et de la fureur, loin des vaines querelles des peuples cherchant le bonheur…

     

    eva, 29 septembre 2012 (lettre à Mallarmé)


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    Sans titre-Fusion-43c

     

    Es-tu brune ou blonde ?

    Sont-ils noirs ou bleus,

    Tes yeux ?

    Je n'en sais rien mais j'aime leur clarté profonde,

    Mais j'adore le désordre de tes cheveux.

     

    Es-tu douce ou dure ?

    Est-il sensible ou moqueur,

    Ton coeur ?

    Je n'en sais rien mais je rends grâce à la nature

    D'avoir fait de ton coeur, mon maître et mon vainqueur.

     

    Fidèle, infidèle ?

    Qu'est-ce que ça fait,

    Au fait 

    Puisque toujours dispose à couronner mon zèle

    Ta beauté sert de gage à mon plus cher souhait.

     

    Paul Verlaine (1844-1896)



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    Aux portes de Kairouan (Paul Klee)

     

     

     "Et il est bizarre de songer que ce sol calciné depuis deux ans par un soleil implacable, noyé depuis un mois sous des pluies de déluge, sera vers mars et avril, une prairie illimitée, avec des herbes montant aux épaules d'un homme, et d'innombrables fleurs comme nous n'en voyons guère en nos jardins. Chaque année quand il pleut, la Tunisie entière passe, à quelques mois de distance, par la plus affreuse aridité et par la plus fougueuse fécondité. De Sahara sans un brin d'herbe, elle devient tout à coup, presque en quelques jours, comme par miracle, une Normandie follement verte, une Normandie ivre de chaleur, jetant en ses moissons de telles poussées de sève qu'elles sortent de terre, grandissent, jaunissent et mûrissent à vue d'oeil. [...]

     

    Chaque fois que, quittant les régions pierreuses et arides, on arrive aux parties fécondes, apparaissent au loin les invraisemblables silhouettes des chameaux laboureurs attelés aux charrues. La haute bête fantastique traîne de son pas lent, le maigre instrument de bois que pousse l'Arabe, vêtu d'une sorte de chemise. Bientôt ces groupes surprenants se multiplient, car on approche d'un centre recherché. Ils vont, viennent, se croisent par toute la plaine, y promenant l'inexprimable profil de l'animal, de l'instrument et de l'homme, qui semblent soudés ensemble, ne faire qu'un seul être apocalyptique et solennellement drôle."

     

    Guy de Maupassant, extrait "Vers Kairouan"

     

    Illustration : aquarelle Paul Klee "Aux portes de Kairouan"        


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    Sandro Botticelli - La naissance de Vénus (detail)

     

    "Je suis enivré sans arrêt par le parfum de tes cheveux.

    Je suis détruit à chaque instant, par tes magiques traitres yeux.

    Après d'aussi longue patience, mon Dieu ! verrai-je enfin la nuit 

    Où j'allumerai ma chandelle dans l'arcade de tes sourcils ?

    Ma clairvoyance est une ardoise que je chéris matin et soir,

    Car elle est comme le miroir qui reflète ta mouche hindoue.

    Si tu veux embellir ce monde pour autant que l'éternité,

    Dis au vent d'écarter ton voile de ta face pour un instant.

    Si tu veux abolir la loi qui rend ce monde périssable,

    Crève l'écran de tes cheveux :

    Il s'en répandra mille vies.

    Le vent et moi sommes deux gueux, des vagabonds, des inutiles.

    Nous sommes enivrés tous deux par ton parfum et par tes yeux.

    Bravo, Hâfez s'est libéré de ce monde comme de l'autre.

    L'humble poussière de ton seuil est la seule chère à ses yeux."

     

    Hâfez Shirâzi (1320-1388)

     


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