• "Le bannissement" Andreï Zviaguintsev

     

     

    Des images d’une grande beauté, un film sur l’incommunicabilité.

     

    La critique du journal «Le Monde » est la plus juste que j’ai pu lire sur le net. 

     

    "Adapté d'une nouvelle de William Saroyan, "Matière à rire" (1953) , Le Bannissement dépeint le prériple tragique d'une famille vers la campagne. Un homme, une femme et leurs deux enfants quittent une ville (lieu des leurres) pour s'installer dans une vieille maison isolée sur un site grandiose, l'ancienne demeure du père, côté paternel. Se protégeant d'un danger jamais clairement défini (la présence d'un frère en cavale suggère la perdition par l'argent, la corruption, l'illégalité), ce quatuor a rendez-vous avec sa vérité. Ce qui va se jouer dans cette majestueuse nature (que Zviaguintsev, anoblissant un arbre, un troupeau de moutons, un ruisseau, un orage, transcende en décor mythologique) est quasi métaphysique. Le nom de la gamine (Eve), l'allusion à la pomme soulignent un goût pour la symbolique biblique. Le père, dans ce paradis terrestre à l'écart des biens matériels et illusoires, va se prendre pour Dieu. Apprenant que sa femme est enceinte, et s'entendant dire qu'il n'est pas le géniteur de l'enfant à venir, il va réagir en fonction de critères qui vont ruiner l'impalpable équilibre de la cellule familiale. Il marchande le pardon à son épouse contre un avortement..." 

    Le Monde, Jean-Luc Douin 

     

     

    Le Monde, Jean-Luc Douin

     

     

     


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    Roubaix, une lumière.

     

     

    La lumière, c’est Daoud – et avec lui la grandeur de l’acteur Roschdy Zem – commissaire de police et enfant du cru, d’emblée méta réel dans les deux registres. Origine maghrébine, souvenirs amers plein la hotte mais sourire absolu, déterminé, supra conscient, ultra-lucide.

    Daoud, c’est le miracle de Noël fait homme. Là où il paraît, la lumière s’allume. Son jeune lieutenant, Louis, l’admire d’autant plus qu’il trompe quant à lui dans le corps policier une vocation avortée à la direction sacerdotale des âmes. Daoud, hétérodoxe, médiumnique, inquiétant et rayonnant à la fois. Tout cela se précise dans la seconde partie du film. Parce que l’incendie dans la cour d’immeuble n’a pas fini de parler. Il masque le cadavre d’une vieille femme détroussée dans son appartement, un acte criminel abject et deux jeunes suspectes, voisines de cour croisées au cours de l’enquête. 

    On a nommé le couple d’amantes déglinguées et décavées Claude et Marie, causes d’un malaise possible dans la réception du film. Le souffle tiède de l’imposture saisit en effet à la vision de Léa Seydoux et Sara Forestier affublées des stigmates ostensibles de la misère, le rouge au nez, le tic aux lèvres, la graisse aux cheveux. On est pourtant ici au cœur du film. Et le défi y est double. Les imposer d’abord au risque de l’invraisemblance, précisément au nom des puissances de la fiction. Les humaniser ensuite au cours du marathon mental que constitue l’interrogatoire mené par Daoud et son équipe. Claude qui résiste et qui manipule l’affaire, au nom de son enfant. Marie qui n’a rien d’autre que Claude dans sa vie pour ne pas mourir sur le champ et qui au contraire les charge toutes deux. Etrange ballet d’aveux et de dénégations, d’arguments retors et de besoin d’expiation, où l’abjection et l’amour se cognent violemment l’un à l’autre. Elles avaient tout de même étranglé la vieille femme pour lui dérober sa télé et du produit vaisselle… Ce film, c'est le témoignage d'une humanité perdue.

    Le crime comme symptôme social, comme violence expiatoire et climax passionnel n’intéresse pas Arnaud Desplechin. Il ne le représente d’ailleurs même pas. Le crime comme témoignage de l’existence et de l’opacité du Mal, sa reconstitution comme reconquête maïeutique – par les mots et par les gestes – d’une humanité perdue, voilà en revanche qui justifie sa recherche sur la possible représentation de l’abjection. Cette longue et poignante reconstitution de l’acte sur les lieux du crime est inspirée d'un fait divers de 2002 : à Roubaix, deux pauvres filles y tuent une pauvre vieille dans l’espoir de lui voler des économies dont elle ne dispose même pas. C’est le propre d’un système qui, tenant pour non profitable à ses intérêts le droit des plus démunis à un minimum de dignité, envoie en connaissance de cause à la casse un peuple de reclus. Roubaix, une lumière montre qu’en vérité ce spectacle nous concerne et cette violence nous atteint.

    Source Le Monde

     

    Ce n'est pas un film policier, c'est un conte de Noël version "très noire", c'est la ville natale d'Arnaud Desplechin. Il la filme comme personne car on est dans les ténèbres, dans un monde complètement délabré, avec des maisons de briques trop grandes pour les habitants, avec en plus une misère qui suinte de partout...

     

     


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    Ad Astra

     

    La recherche du père,

    à des milliards d’années –Lumière,

    Le Nom du père, le non du père,

    La mort du père…

    Un film de science fiction,

    Un conte psychanalytique fascinant…

     

     


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    "Faute d'amour"  Andreï Zviaguintsev

     

    "Andrei Zvyagintsev nous invite à scruter les méandres d’une Russie en ballottage, un pays qui perd son souffle à travers une déshumanisation carnassière. De ce postulat un peu rébarbatif dans lequel le cinéaste aurait pu étioler son cinéma et s’embourber dans des thèmes éculés par le passé, il arrive à déraciner un sujet vu et revu pour en faire une analyse sociétale complexe et une étude de caractère émouvante. Ce sujet, c’est la perte, voire plus précisément la fugue d’un enfant. Le film débute alors sur un plan fixe anodin, mais qui marque en quelque sorte le seul moment de respiration d’un enfant qui se verra noyer par la haine de l’enclos familial.

    Cette scène symbolique montre la façade d’une école sur laquelle est hissé un drapeau Russe pendant que les différents enfants sortent de l’établissement après la fin des cours. Alliocha, fils d’un couple qui se déchire prend alors le chemin pour rentrer chez lui, seul dans les bois, paisible pendant que l’on aperçoit sur son visage, un petit sourire aux lèvres. On pourrait donc penser qu’il est en osmose avec une nature bienveillante, qui est le seul environnement encore innocent que peut offrir la Russie d’aujourd’hui. Cela ne durera pas longtemps.

    C’est alors que le réalisateur entre dans le vif du sujet avec cette violente dispute d’un couple, Boris et Zhenya, qui se déteste et qui se bat non pas pour la garde de l’enfant mais pour savoir qui va récupérer le fardeau qu’est ce fils issu d’une union sans amour, pendant que ce dernier écoute ce verbiage avec les larmes aux yeux. Comme le dira le nouvel amant de cette jeune mère : « une vie sans amour, ce n’est pas possible ». Cet enfant est le seul obstacle à une vie qui pourrait les rendre enfin heureux. Le paysage est familier : des personnages froids, une monstruosité palpable, une violence psychologique en suspens, un isolement froissé, un enclos familial disloqué. On voit où veut nous amener Andrei Zvyagintsev.

    Sauf que s’érige la complexité d’un récit qui n’est pas seulement là pour être un pamphlet sur l’oubli et l’égoïsme du monde moderne mais pour se muer aussi en regard troublant d’humanité sur un pays qui gondole, avec des citoyens aussi fiers que désemparés, des hommes et femmes qui derrière cette armure de colère se cache un enfant qui sommeille en eux et qui ne demande qu’à entrevoir l’amour. Car malgré ses traits arides, sa mise en scène naturaliste magnifique, son approche quasi documentariste sur la façon dont sont traitées les affaires de fugue, Faute d’Amour est un véritable film sur l’amour.

    L’amour qui existe comme celui qui n’existe pas où le fait d’aimer se transmet comme un passage de témoin de génération en génération comme en témoigne cette séquence où le couple arrive en pleine nuit chez la mère de l’épouse pour savoir si l’enfant est chez elle. Paranoïaque et pleine d’aigreur, elle déverse alors toute sa haine sur sa fille, montrant par ce biais, les dommages collatéraux que cela peut occasionner sur une vie future. De ce fait, Faute d’Amour ne se construit pas comme un procès à charge sur des parents ignobles, l’œuvre se veut plus souple dans sa démarche, plus enclin à démystifier une fausse vérité pour en dévoiler une plus plausible mais pas moins monstrueuse. Chez, Andrei Zvyagintsev, il n’y a pas de bourreau mais que des victimes, des victimes qui sont devenues des bourreaux.

    Le réalisateur se débarrasse de ses influences, notamment celles de Tarkovski, permettant alors à son film ne pas tomber dans l’académisme clinique mais d’amener une ambivalence riche et tourmentée à une histoire vieille comme le monde. Coupant son film en deux parties bien distinctes, avec une première partie sur l’étude du couple et de ses envies d’éclosions puis une deuxième sur la recherche de ce fils que l’on ne verra que deux à trois reprises durant toute la durée du film, Faute d’Amour multiplie les passages rêches et accentue la densité d’un récit qui s’immisce dans cette hypocrisie contemporaine qu’est l’étroite frontière entre la dictature du modernisme des réseaux sociaux et le conservatisme patriarcale d’une société en quête de morale."

    Source : Velvetman

     


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