• Hommage à Francisco Goya (Tres de Mayo) et Boris Vian (Le Temps de vivre)

    Il a dévalé la colline
    Ses pas faisaient rouler des pierres
    Là-haut entre les quatre murs
    La sirène chantait sans joie

    Il respirait l'odeur des arbres
    Il respirait de tout son corps
    La lumière l'accompagnait
    Et lui faisait danser son ombre

              Pourvu qu'ils me laissent le temps
              Il sautait à travers les herbes
              Il a cueilli deux feuilles jaunes
              Gorgées de sève et de soleil

              Les canons d'acier bleu crachaient
              De courtes flammes de feu sec
              Pourvu qu'ils me laissent le temps
              Il est arrivé près de l'eau

                      Il y a plongé son visage
                      Il riait de joie il a bu
                      Pourvu qu'ils me laissent le temps
                      Il s'est relevé pour sauter

                      Pourvu qu'ils me laissent le temps
                      Une abeille de cuivre chaud
                      L'a foudroyé sur l'autre rive
                      Le sang et l'eau se sont mêlés

                               Il avait eu le temps de voir
                               Le temps de boire à ce ruisseau
                               Le temps de porter à sa bouche
                               Deux feuilles gorgées de soleil

                               Le temps de rire aux assassins
                               Le temps d'atteindre l'autre rive
                               Le temps de courir vers la femme

                                       Il avait eu le temps de vivre.

    Boris Vian
    Le temps de vivre

    Tres de Mayo Francisco Goya


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  • Dans les caveaux d'insondable tristesse
    Où le destin m'a déjà relégué ;
    Où jamais n'entre un rayon rose et gai ;
    Où seul avec la nuit, maussade hôtesse,

    Je suis comme un peintre qu'un Dieu moqueur
    Condamne à peindre, hélas ! sur les ténèbres
    Où, cuisinier aux appétits funèbres,
    Je fais bouillir et je mange mon coeur,

    Par instants brille, et s'allonge, et s'étale
    Un spectre fait de grâce et de splendeur.
    A sa rêveuse allure orientale,

    Quand il atteint sa totale grandeur,
    Je reconnais ma belle visiteuse :
    C'est Elle ! noire et pourtant lumineuse.

                                                     Charles Baudelaire (Spleen et Idéal)

    photo eva baila (Rome, cloître de St Paul hors les murs) ©


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  • "Bientôt nous plongerons dans les froides ténèbres ;
    Adieu vive clarté de nos étés trop courts !
    J'entends déjà tomber avec des chocs funèbres
    Le bois retentissant sur le pavé des cours.

    Tout l'hiver va rentrer dans mon être : colère,
    Haine, frisson, horreur, labeur dur et forcé,
    Et, comme le soleil dans son enfer polaire,
    Mon coeur ne sera plus qu'un bloc rouge et glacé.

    J'écoute en frémissant chaque bûche qui tombe ;
    L'échafaud qu'on bâtit n'a pas d'écho plus sourd,
    Mon esprit est pareil  à la tour qui succombe
    Sous les coups du bélier infatigable et lourd.

    Il me semble, bercé par ce choc monotone,
    Qu'on cloue en grande hâte un cercueil quelque part.
    Pour qui ? - C'était hier l'été ; voici l'automne !
    Ce bruit mystérieux sonne comme un départ."
                                                                               Charles Baudelaire (Les Fleurs du Mal)


    photo eva baila (copyright 2008)
     


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