"Et j’ai réalisé avec effarement que, gardien de la porte du Dieu, tu te tiens devant moi, depuis le début, derrière la porte de la mort. A l’inverse de tous les autres pères qui sont – pour leur enfant – un rempart contre la mort, tu as toujours été pour moi une invitation élégante et muette, un encouragement séducteur et tendre à franchir cette porte de la mort.

Invitation, encouragement, ou interdiction formelle ?

Ton silence assourdissant et insupportable serait-il donc l’expression du « non du père » ? Et le « nom du père » serait-il le reflet prémonitoire du destin de l’enfant ? Enfant de "Bab'Ilil", qui se tient à jamais devant la porte du Dieu… Au piquet, en pénitence…

Depuis si longtemps déjà, tu pourrais être mon fils. Tu as le visage de la jeunesse éternelle, de la beauté inaltérable, et j’ai le regret définitif de ne pouvoir jamais me souvenir de la couleur de ton regard, ni du son de ta voix, pas plus que du mouvement de tes mains, ni de l’allure de ton pas. Tu ne seras jamais vieux, comme je ne serai jamais jeune…chacun d’un côté de la porte du Dieu…"  

eva © 2008

Tout le monde bien sûr, connaît "le Petit Prince"...

Je l'ai entendu pour la première fois à l'âge de quatre ou cinq ans. Les soirs de solitude dans la cuisine, j'écoutais la TSF (un poste perché sur une petite console en bois accrochée au mur, assez haut pour être à l'abri de mes mains d'enfant). Ce petit poste avait une lucarne verte (magique) et une aiguille pour chercher les stations... Opération réservée à ma mère, déesse toute puissante, qui régissait mon univers...

J'ai oublié le nom de la station qui diffusait par épisodes l'histoire du Petit Prince. Ce que je n'ai jamais oublié, c'est la voix de Gérard Philipe. Une belle voix grave, douce et un peu triste. Et je me sentais profondément émue et désolée d'entendre qu'il avait "atterri dans le désert du Sahara, qu'il avait de l'eau à boire à peine pour huit jours, et qu'il était bien isolé à mille miles de toute terre habitée."

Tu ne peux pas savoir le nombre de fois où j'ai imaginé cet homme triste et seul, abandonné à mille miles de tout lieu habité... Tu ne peux pas savoir le nombre de fois où je me suis adressée à lui, par la pensée, en espérant secrètement qu'il finirait par me faire un signe... Aujourd'hui encore, j'attends un signe de Lui, un signe qui ne viendra jamais...

Tout silence m'est extrêmement douloureux. Il est la confirmation de ma "non-existence".

"J'ai vécu seul[e], sans personne à qui parler véritablement..."

Il n'y a jamais eu pour moi d'autre salut que ma projection dans l'imaginaire. J'attends le serpent qui me renverra sur ma planète...

eva, ce 3 septembre 2013.

J’ai la tête bruissante des voix qui se sont tues,

Des voix chéries reconnues, et de celle jamais entendue,

J’ai la tête bruissante des voix qui se sont tues…

J’ai les tempes battantes de tous les souvenirs perdus,

Souvenirs évanouis, passés comme photos sepia,

De ceux inventés parce que jamais connus…

Douloureuse est ma bouche de tous les baisers donnés,

Des baisers égarés, et de ceux retenus,

J’ai la bouche meurtrie de tous les baisers perdus…

J’ai la mémoire pleine de morceaux épars,

Dispersés, diffractés, répandus en éclats d’or et de ténèbres,

J’ai la mémoire en dérive vers la source originelle…

Et ma tête, et ma bouche, et mes mains tendues

Vers cette tâche claire, font résurgence d’espoir dans le noir,

Dans le noir, dans le noir, dans le noir…

                                                                  eva, ce dimanche 11 avril 2010 (texte et photo)©