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    Sonnet de la douce plainte (Federico Garcìa Lorca)

     

     

    J'ai peur de perdre la merveille

    de tes yeux de statue, et l'accent que

    pendant la nuit, pose sur ma joue

    la rose solitaire de ton haleine.

    J'ai peine à n'être en cette rive

    qu'un tronc sans branches ; et ce qui me désole

    est de ne pas avoir la fleur, pulpe ou argile, 

    pour le ver de ma souffrance.

    Et si toi tu es mon trésor occulte,

    si tu es ma croix, ma douleur mouillée,

    si je suis bien le chien de ton domaine,

    ne me laisse perdre ce que j'ai gagné

    et décore les eaux de ton fleuve

    avec des feuilles de mon automne désolé.

     

    Federico Garcìa Lorca.

     

    Sonnet de la douce plainte (Federico Garcìa Lorca)

     

     


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    La chanson de Marcabru

     

     

    Marcabru est-il agenais ? Rien n'est moins sûr ! On se fonde pour se l'approprier, sur une biographie bien floue. Le texte médiéval dit en effet ceci "Marcabru fut jeté à la porte d'un homme riche. On ne sait ni qui il était, ni d'où il venait. Et Monseigneur Aldric du Vilars le fit élever..."

    On veut croire qu'il s'agit d'Auvillars, près de Valence-d'Agen, qui, comme on le sait, fit partie du département du Lot-et-Garonne, avant que Napoléon ne crée le Tarn-et-Garonne en 1808. 

    Dix siècles durant, les troubadours ont vécu, senti, pensé, aimé, souffert, porté témoignage d'humanité. Ils ont nom : Marcabru, Uc de Pena Daubasse, Delprat, Cortete de Prades, Jasmin, Froment, Tozy, Blade, Saleres, Grenier, Delberge... Dans leur langue, étouffée, interdite, ils sont la vraie racine culturelle, la mémoire ensevelie, l'empreinte identitaire d'un peuple installé au coeur de la féodalité triomphante, l'Occitanie, porteuse d'une autre civilisation plus généreuse et plus ouverte, aux valeurs fécondes qui vont germer : Amor, jòi e jovent, largesa, pour ne citer que celles-ci...  

    Dans la video ci-dessous, la chanson est interprétée par Claude Marti, chanteur occitan. La bande son est très imparfaite (mon vieux 33 tours ayant subi les outrages du temps !)

      

     

    Violence, truculence, misogynie : la chanson de Marcabru "Escotatz" contraste avec la tradition de l'amour courtois à laquelle on se réfère surtout à propos des troubadours. C'est parce que selon Robert Lafon dans son ouvrage "Trobar", Marcabru a une personnalité d'homme et d'artiste très originale. C'est une sorte de moine-soldat, laïcisé dans une vocation de grand poète... 

    L'accès aux oeuvres des troubadours est particulièrement délicat. C'est la version moderne de Escotatz ! qui a été choisie ici in "Troubadours aujourd'hui" Editions CPM Raphaële-les-Arles. 1975.

     

    Dirai o mon agrandança
    D’aquel vèrs la començança
    De rason à la semblança
    Escotatz ! 


    Amor coma la beluga
    D’un res met fòc à la bruga
    E la flamba ven caluga
    Escotatz 
    A pena vos amaluga
    Que sentissetz lo reumat
     

    Joventut es putanièra
    L’amor leva l’'amor pilha

    son degut a la resquilha                                                                             

     

    Escotatz !
    Nos fas chinchar en familha
    E qual n’es pas endeutat ?
     

    L’amor es de mala raça
    Sens espasa nos estraça
    Mai que guèrra tua, amassa
    Escotatz !
    Sens tisana nos enmasca
    Lo pus brave ne ven fat
     

    Amor es tot en falsièra
    Pren lo mèl daissa la cèra
    Pelada dona la pèra
    Escotatz !
    E s’es plasent son lantèra
    Solament coa-copat 

    Marcabrun filh Marcabruna
    Foguèt fait en tala luna
    Qu’amor sap coma se degruna Escotatz !

    Que jamai s'engarcet d'una

    Ni s'engarcet d'amitat.  

     

     Je vous dirai, sans hésitation,

    Le commencement de ce poème

    Les mots en ont l’apparence de la vérité.

    Ecoutez !

    Qui hésite à bien faire, a semblance de pervers.

     

    L’amour comme l’étincelle

    D’un rien met le feu à la bruyère

    Et la flamme devient folle

    Ecoutez ! 

    A peine vous touche-t-elle que vous sentez le roussi.

     

     Jeunesse ne se méfie pas

    Et l'Amour lève à sa guise son impôt,

    Partout où il fait son nid.

    Ecoutez ! 

    Chacun en prend sa part et ne s’avise  point qu’il en demeure endetté.

     

     L’amour est de male race :

    Sans épée il nous meurtrit plus que la guerre,

    Nul mieux que lui ne nous enchante

    Ecoutez ! 

    Sitôt que l’amour l’embrase le plus brave en devient fou.

     

    L’amour est tout en fausseté,

    prend le miel, laisse la cire,

    pour lui seul pèle la poire.

    Ecoutez !

    Mais est plaisant son « lanlère », seulement la queue coupée.

     

    Marcabrun, fils de Marcabrune,

    Est né en telle lune

    Qu’il sait ce qu’Amour égrenne

    Ecoutez ! 

    Jamais ne s’éprit d’aucune, ni d’amour ni d’amitié.

      


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  • Mimosa

     

    La Mimosa Selvatica 

     

    La mimosa selvatica

    si lascia fiorire

    nell'agosto sul vallone

     

    e spinge a mare

    una sorella di luce,

    che respira a fronde,

    nelle legere spighe

    delle onde.

     

    Nico Orengo

    Le mimosa sauvage

    se laisse fleurir jusqu'en août

    sur la vallée

     

    et pousse à la mer

    une soeur de lumière

    respirant 

    à la lisière ourlée des vagues.

    (traduction improbable !...) 

     

     


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    Os de seiche (Eugenio Montale)

     Eugenio Montale, poète italien filmé chez lui, répond aux questions posées par Pierrre André Boutant sur sa poésie, son passé, l'influence de la Ligurie dans son inspiration poétique, les poètes italiens, ceux qu'il a cotoyés, d'Annunzio, Sbarbaro, Quasimodo, ceux du Mouvement Hermétique, et ceux qui l'ont influencé, Dante, Cavalcanti, Leopardi. Il évoque ses goûts littéraires, en particulier Shakespeare dont il a traduit cinq pièces, son intérêt pour la musique, ses interrogations métaphysiques, sa tristesse et son attrait pour la solitude, le statut de poète qui ne peut être un métier, son plus fameux recueil "Os de seiche". Il témoigne de la vie de l'intelligentsia italienne sous le fascisme, de sa mise à l'écart par le régime qui lui valut 10 ans de "chômage", pendant lesquels il devint traducteur, de l'évolution de sa poésie durant cette période et après le décès de sa femme, de sa vie pendant la guerre. Il conclut sur sa vision de la société moderne qui aliène l'individu, et celle d'une fin du monde probable "bestiale, stupide" éloignée du religieux.

     

     

     

    Reconnu comme l'un des plus grands poètes italiens du XXe siècle, Montale est resté pendant longtemps ignoré en France. Cela tient sans doute aux difficultés linguistiques  expressives et rhétoriques de la poésie montalienne. Depuis la parution de la traduction de ses poèmes chez Gallimard, la lecture du poète ligurien n'a cessé de croître. Cependant Jean-Charles Vegliante a mis en accusation le monopole de Gallimard, qui empêcha d'autres tentatives de traductions. Vigliante, identifie dans la mimesis du rythme, de la musicalité et de la métrique d'origine l'approche sans doute la plus juste d'un texte poétique. 

       

    J'hésite toujours à donner à lire les traductions des poètes... Comme Lorca, Montale est intraduisible (pour des raisons tout à fait différentes). Il m'a paru plus intéressant de partager cette video où il se met à nu, avec une grande simplicité. La simplicité est l'élégance des plus grands, il m'a touchée au plus profond de l'âme. Encore un poète qui n'écrivait pas pour moi... (ou plutôt, qui ne le savait pas) et qui m'a trouvée tardivement, mais définitivement. Gianfranco Contini écrivait de "Ossi di seppia" que c'est un inventaire de non être "inventorio di non essere".

    La video est un peu longue (50 mn) mais Montale se livre entièrement. Il nous dit que "Os de seiche" équivaut à "Feuilles mortes" et que son idéal de l'amour est celui de Dante pour Béatrice...

     


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