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    Lady Lilith 

    "Not a drop of her blood was human,

    But she was made like a soft sweet woman" 

    toile et citation de Dante Gabriel Rossetti

     

    "Alors, il aima Lilith, la première femme d'Adam, qui ne fut pas créée de l'homme. Elle ne fut pas faite de terre rouge, comme Eve, mais de matière inhumaine ; elle avait été semblable au serpent, et ce fut elle qui tenta le serpent pour tenter les autres. Il lui parut qu'elle était plus vraiment femme, et la première, de sorte que la fille du Nord qu'il aima finalement dans cette vie, et qu'il épousa, il lui donna le nom de Lilith.

     

    Mais c'était un pur caprice d'artiste ; elle était semblable à ces figures préraphaélites qu'il faisait revivre sur ses toiles. Elle avait les yeux de la couleur du ciel, et sa longue chevelure blonde était lumineuse comme celle de Bérénice, qui, depuis qu'elle l'offrit aux dieux, est épandue dans le firmament. Sa voix avait le doux son des choses qui sont près de se briser ; tous ses gestes étaient tendres comme des lissements de plume ; et si souvent elle avait l'air d'appartenir à un monde différent de celui d'ici-bas qu'il la regardait comme une vision.

     

    Il écrivit pour elle des sonnets étincelants, qui se suivaient dans l'histoire de son amour, et il leur donna le nom de Maison de la Vie. Il les avait copiés sur un volume fait avec des pages de parchemin. L'oeuvre était semblable à un missel patiemment enluminé. 

     

    Lilith ne vécut pas longtemps, n'étant guère née pour cette terre ; et comme ils savaient tous deux qu'elle devait mourir, elle le consola du mieux qu'elle put.

     

    "Mon aimé, lui dit-elle, des barrières d'or du ciel je me pencherai vers toi ; j'aurai trois lys à la main, sept étoiles aux cheveux. Je te verrai du pont divin qui est tendu sur l'éther ; et tu viendras vers moi et nous irons dans les puits insondables de lumière. Et nous demanderons à Dieu de vivre éternellement comme nous nous sommes aimés un moment ici-bas."

     

    Marcel Schwob

    Lilith (coeur double). Ed. Paul Ollendorf, Paris 1891 (p.87)


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    "Il y a très longtemps, monsieur Sosa, bien avant vous et votre arrière-arrière-grand-père, un homme se tenait à l'endroit où vous êtes. Lorsqu'il levait les yeux sur cette plaine, il ne pouvait s'empêcher de s'identifier à elle. Il n'y avait pas de routes ni de rails, et les lentisques et les ronces ne le dérangeaient pas. Chaque rivière morte ou vivante, chaque bout d'ombre, chaque caillou lui renvoyaient l'image de son humilité. Cet homme était confiant parce qu'il était libre. Il n'avait, sur lui, qu'une flûte pour rassurer ses chèvres et un gourdin pour dissuader les chacals. Quand il s'allongeait au pied de l'arbre que voici, il lui suffisait de fermer les yeux pour s'entendre vivre. Le bout de galette et la tranche d'oignon qu'il dégustait valaient mille festins. Il avait la chance de trouver l'aisance jusque dans la frugalité. Il vivait au rythme des saisons, convaincu que c'est dans la simplicité des choses que résidait l'essence des quiétudes. C'est parce qu'il ne voulait de mal à personne qu'il se croyait à l'abri des agressions jusqu'au jour où, à l'horizon qu'il meublait de ses songes, il vit arriver le tourment. On lui confisqua sa flûte et son gourdin, ses terres et ses troupeaux, et tout ce qui lui mettait du beaume à l'âme. Et aujourd'hui, on veut lui faire croire qu'il était dans les parages par hasard, et l'on s'étonne et s'insurge lorsqu'il réclame un soupçon d'égards... Je ne suis pas d'accord avec vous, monsieur. Cette terre ne vous appartient pas. Elle est le bien de ce berger d'autrefois dont le fantôme se tient juste à côté de vous et que vous refusez de voir. Puisque vous ne savez pas partager, prenez vos vergers et vos ponts, vos asphaltes et vos rails, vos villes et vos jardins, et restituez le reste à qui de droit."

     

    Yasmina Khadra (Ce que le jour doit à la nuit)

     

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    http://www.fichier-pdf.fr/2013/04/07/yasmina-khadra-ce-que-le-jour-doit-a-la-nuit/yasmina-khadra-ce-que-le-jour-doit-a-la-nuit.pdf

     

    site officiel de l'auteur : http://www.yasmina-khadra.com/index.php?link=sens

     

    "Chaque artiste garde ainsi, au fond de lui, une source unique qui alimente pendant sa vie ce qu'il est et ce qu'il dit." (Albert Camus)

     


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    La petite rade est faite au tour. Elle est modelée comme une double coupe par le maître ouvrier qui boit la mer dans son verre. Des îles ciselées en marbre rose ou en pierre bleue, selon les heures, sont posées sur l'eau, comme une table des aiguières. Elles ferment le petit port, et la falaise, à pic, le partage en deux. Les deux vasques sont pareilles, l'une devant l'autre, telle une grosse main d'homme à côté d'une main d'enfant ouverte : le port est en miniature logé dans la grosse main, et le doigt du milieu, c'est la jetée blanche. 

     

    Tout est bleu, bleu, bleu ; et les pierres sont blanches. La neige n'est pas d'un blanc plus pur que ces pierres au soleil entre la mer et le ciel bleu. Au fond, des collines pelées, à base d'argile rouge, font la haie contre le vent.

     

    Tirées sur les galets, peintes en vert et en bleu, les barques semblent toutes neuves. Large et long, le quai serpente suivant la courbe de la mer qui clapote. Le quai est une promenade où ne musent que deux ou trois bons vieux ; ils sont bien cuits, le soleil leur a mis sur la peau une peau d'oignon mûr ; des filets sèchent, des réseaux d'or noir, magnifique dentelle ; des pêcheurs accroupis les réparent, jambes et pieds nus. On sent un parfum très fin de goudron.

     

    A l'horizon de terre, les montagnes sont noires de pins, et, sur le rivage, descendent jusque dans la vague, les collines du vert le plus gris. Le ciel est bleu, la mer est bleue, le calme est bleu. Tel était le port du royaume où Nausicaa, jeune fille, reçut le divin Ulysse.

     

    André Suarès. (Croquis de Provence, 1952)

     

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    Paul Cézanne : le Golfe de Marseille vu de l'Estaque (1878-1879) illustration n°1

    Paul Cézanne : l'Estaque vue du Golfe de Marseille (illustration n°2)

     

    Dans une lettre de 1876 à Pissaro, Cézanne décrit le paysage panoramique qui s'offre à ses yeux et parle du "soleil effrayant" qui "transforme les objets en silhouette". Cézanne, profondément attaché à sa région d'origine y puise certains des motifs récurrents et emblématiques de son oeuvre. Les deux plus importants sont la Montagne Sainte Victoire et le Golfe de l'Estaque.

     

    André Suarès, écrivain et poète français, est né à Marseille en 1868. Si plus d'un demi-siècle sépare le poète et le peintre,  on peut penser qu'ils nous décrivent le même paysage méditerranéen. Suarès écrit encore : "En Provence, je suis en rade. Il n'est point de port qui donne le départ à l'égal de Marseille. Il pénètre au coeur de la cité ; il vient chercher l'homme au pied du lit, au saut du train. Tout y parle de départ, tout s'y précipite [...] La mer à Marseille ne connait pas le flux ni le reflux, ou si peu que rien [...] Le fond grec et provençal de ce peuple repousse le chaos ; une gaîté puissante est le second mistral qui souffle du Rhône sur les collines de l'Ionie [...] Marseille est universelle. C'est le port comme jadis Alexandrie dut l'être."

     

    lire aussi : http://www.lapenseedemidi.org/catalog/revues/revue1/articles/13_suares.pdf


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    Villa Adriana

     

    "Je me suis souvent fait deux questions au milieu des ruines romaines : les maisons des particuliers étaient composées d'une multitude de portiques, de chambres voûtées, de chapelles, de salles, de galeries souterraines, de passages obscurs et secrets : à quoi pouvait servir tant de logements pour un seul maître ?Les offices des esclaves, des hôtes, des clients étaient presques toujours construits à part.

     

    Pour résoudre cette première question, je me figure toujours le citoyen romain dans sa maison comme une espèce de religieux qui s'était bâti des cloîtres. Cette vie intérieure, indiquée par la seule forme des habitations, ne serait-elle point une des causes de ce calme qu'on remarque dans les écrits des anciens ? Cicéron retrouvait dans les longues galeries de ses habitations, dans les temples domestiques qui y étaient cachés, la paix qu'il y avait perdue au commerce des hommes. Le jour même que l'on recevait dans ces demeures semblait porter à la quiétude. Il descendait presque toujours de la voûte ou des fenêtres percées très haut ; cette lumière perpendiculaire, si égale et si tranquille, avec laquelle nous éclairons nos salons de peinture, servait si j'ose m'exprimer ainsi, servait au Romain, à contempler le tableau de sa vie. Nous, il nous faut des fenêtres sur des rues, sur des marchés ou des carrefours. Tout ce qui s'agite ou fait du bruit nous plaît ; le recueillement, la gravité, le silence nous ennuient.

     

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    La seconde question que je me fais est celle-ci : Pourquoi tant de monuments consacrés aux mêmes usages ? On voit incessamment des salles pour des bibliothèques, et il y avait peu de livres chez les anciens. On rencontre à chaque pas des thermes : les thermes de Néron, de Titus, de Caracalla, de Dioclétien, etc. Quand Rome eut été trois fois plus peuplée qu'elle ne l'a jamais été, la dixième partie de ces bains auraient suffi aux besoins publics.

     

    Villa Adriana

     

    Je me réponds qu'il est probable que ces monuments furent dès l'époque de leur érection de véritables ruines et des lieux délaissés. Un empereur renversait ou dépouillait les ouvrages de son devancier, afin d'entreprendre lui-même d'autres édifices, que son successeur se hâtait à son tour d'abandonner. Le sang et les sueurs des peuples furent employés aux inutiles travaux de la vanité d'un homme, jusqu'au jour où les vengeurs du monde, sortis du fond de leurs forêts, vinrent planter l'étendard de la croix sur ces monuments de l'orgueil. "        

     

    Voyage en Italie (Villa Adriana à Tivoli ) François-René de Chateaubriand.

     

    source : link         

     

    Villa Adriana

    photos eva octobre 2004 


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