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    "Cette nuit fut une dure nuit pour Ulysse. Le sillage des renards, le glissement des blaireaux, et, de  temps en temps, le coup de gueule d'un loup tissèrent le silence. Une petite brise fraîche coula. Elle était faite d'agiles nymphettes, les bras chargés de parfums volés. Elle mit sous la narine d'Ulysse l'odeur d'un tilleul, d'un fourré de lilas, d'un buisson de roses ; mais, à la fin, elle le mordit de ses dents glacées au gras des cuisses, le forçant à se pelotonner à croupetons, sous les branches plates d'un thuya. 

     

    Il s'éveilla dans un monde visqueux où les arbres ne haletaient pas mais balançaient lentement leurs feuilles à la façon des algues au fond de l'eau. Il lui semblait que la terre, molle, se soulevait sous lui au rythme d'une puissante haleine."

     

    Jean Giono (Naissance de l'Odyssée)

    pages 58 et 59 Les Cahiers Rouges (Grasset) 

     

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    Dans ce court roman, Giono fait du retour d'Ulysse vers Ithaque, le récit d'une école buissonnière... Mais, que dire en arrivant, pour justifier une absence de dix ans ? Affabulations et mensonges, suggère Giono. Ainsi naquit l'Odyssée... Dans des pages merveilleuses de poésie, Giono célèbre un monde où l'homme et la nature entrent en communion profonde... et faut-il que la poésie de Giono soit lumineuse et vivace pour qu'on lui pardonne d'écorcher ainsi la légende d'Ulysse, faisant de Circé un "pot de colle", d'Antinoüs un berger musclé mais sans cervelle, de Pénélope une épouse infidèle, de Télémaque un fils indigne... Seule, seule la belle Calipso est épargnée et reste la divine !... Sacré Giono !  


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    Ligeia

     

    "Quant à la beauté de la figure, aucune femme ne l'a jamais égalée. C'était l'éclat d'un rêve d'opium, - une vision aérienne et ravissante, plus étrangement céleste que les rêveries qui voltigent dans les âmes assoupies des filles de Délos. Cependant ses traits n'étaient pas jetés dans ce moule régulier qu'on nous a faussement enseigné à révérer dans les ouvrages classiques du paganisme. [...]

     

    Sans Ligeia, je n'étais qu'un enfant tâtonnant dans la nuit. Sa présence, ses leçons pouvaient seules éclairer d'une lumière vivante les mystères du transcendantalisme dans lesquels qnous nous étions plongés. Privée du lustre rayonnant de ses yeux, toute cette littérature, ailée et dorée naguère, devenait maussade, saturnienne et et lourde comme le plomb. Et maintenant, ces beaux yeux éclairaient de plus en plus rarement les pages que je déchiffrais."

     

    Edgar Allan Poe (Ligeia, extraits)

    Histoires extraordinaires. Traduction Charles Baudelaire.

     

     

    L'illustration est de Fernand Khnopff, peintre et dessinateur symboliste belge

    http://www.youtube.com/watch?v=Q8jf2DqfsGo 


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          photo de Eugène William Smith

     

    « Poum a toujours rêvé d’une petite sœur. D’abord, elle sera moins haute que lui de la tête. Quand ils iront promener ensemble, elle portera le seau et la pelle ; elle lui obéira en toutes circonstances. Jamais elle n’habillera ses poupées sans prendre conseil de Poum. En retour, il aura pour elle des attentions délicates. Il la défendra contre les chiens et les autres animaux méchants. Il sera son protecteur et son ami. Sa tendresse va en pensée, jusqu’à se résoudre à un équitable partage futur des fruits confits, des papillottes et des fondants. Poum possède un grand cœur ! »     

     

    Paul et Victor Margueritte (Aventures d'un petit garçon) extrait.


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    "Ma Pénélope est perdue pour moi" ; or, sur l'instant il avait encore plus envie d'elle, il la voyait belle comme elle était à son départ, debout sur l'estacade, et aussitôt il se remettait à trier les piperies de l'espérance.

     

    Il se souvenait de ce départ :

     

    Du manoir au port, ils avaient pris par les venelles allongeuses, lui couvert de fer brinqueballant, insolite au milieu des paisibles ombres sylvestres et des prés avec ses flèches et ses couteaux; elle, douce, flexible, fleurie de châles et de l'enfant gras et rose comme une grosse rose charnue née de leur amour ! Elle l'aimait pourtant, alors ! 

     

    Au détour de chaque haie, avant d'entrer dans le soleil, elle appelait : Ulysse ! puis tendait ses lèvres.

     

    Vingt ans ! Qui connaît le travail des dieux durant si longue absence !

     

    La flamme avait aplani peu à peu la bosse du foyer : ce n'était plus que braises blanches sur lesquelles ballait un petit follet bleu. Ulysse s'envivrait de cette blancheur : des frondaisons d'amandiers fleuris couraient devant ses yeux comme s'il passait au galop de son char dans les vergers de sa terre ; une grosse cèpe d'olivier s'ouvrit comme une grenade mûre, s'effrita dans le brasier soupirant et ses débris étaient pareils à des roses. Il eut soudain devant les yeux les lourds rosiers creux où l'on abritait durant les nuits de pluie les dieux de la maison en bois de figuier. Enfin, suscitée par les menus souvenirs, Ithaque hérissée apparut tout entière dans l'air épais qui tremblait au-dessus du feu."

     

    Jean Giono (Naissance de l'Odyssée)

     

    illustration : Pénélope (Bouguereau)


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