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    "Une brise légère et continue, venant du large, effleurait et ridait la surface de l'eau. La voile fut hissée, s'arrondit un peu, et la barque s'en alla paisiblement, à peine bercée par la mer.

    On s'éloigna d'abord. Vers l'horizon, le ciel se baissant se mêlait à l'océan. Vers la terre, la haute falaise droite faisait une grande ombre à son pied, et des pentes de gazon pleines de soleil l'échancraient par endroits. Là-bas, en arrière, des voiles brunes sortaient de la jetée blanche de Fécamp, et là-bas, en avant, une roche d'une forme étrange, arrondie et percée à jour, avait à peu près la figure d'un éléphant énorme enfonçant sa trompe dans les flots. C'était la petite porte d'Etretat.

     

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     [...] Le soleil montait comme pour considérer de plus haut la vaste mer étendue sous lui ; mais elle eut comme une coquetterie et s'enveloppa d'une brume légère qui la voilait à ses rayons. C'était un brouillard transparent, très bas, doré qui ne cachait rien, mais rendait les lointains plus doux. L'astre dardait ses flammes, faisait fondre cette nuée brillante ; et, lorsqu'il fut dans toute sa force, la buée s'évapora, disparut ; et la mer lisse comme une glace, se mit à miroiter dans la lumière.

    Jeanne, tout émue, murmura : "Comme c'est beau !" Le vicomte répondit : "Oh ! oui, c'est beau !" La clarté sereine de cette matinée faisait s'éveiller comme un écho dans leurs coeurs.

    Et soudain on découvrit les grandes arcades d'Etretat, pareilles à deux jambes de la falaise marchant dans la mer, hautes à servir d'arche à des navires ; tandis qu'une aiguille de roche blanche et pointue se dressait devant la première.

     

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    [...] et il lui semblait que trois seules choses étaient vraiment belles dans la création : la lumière, l'espace et l'eau."

     

                                                                                                                Une Vie (Guy de Maupassant)

     

    Photos eva ©


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    Cathédrale Léon (Mme Bovary)

     

    "Léon, à pas sérieux, marchait auprès des murs. Jamais la vie ne lui avait paru si bonne. Elle allait venir tout à l'heure, charmante, agitée, épiant derrière elle les regards qui la suivaient, - et avec sa robe à volants, son lorgnon d'or, ses bottines minces, dans toutes sortes délégance dont il n'avait pas goûté, et dans l'ineffable séduction de la vertu qui succombe. L'église, comme un boudoir gigantesque, se disposait autour d'elle : les voûtes s'inclinaient pour recueillir dans l'ombre la confession de son amour ; les vitraux resplendissaient pour illuminer son visage, et les encensoirs allaient brûler pour qu'elle apparût comme un ange, dans la fumée des parfums.

    Cathédrale Léon (Mme Bovary)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Cependant, elle ne venait pas. Il se plaça sur une chaise et ses yeux rencontrèrent un vitrage bleu où l'on voit des bateliers qui portent des corbeilles. Il le regarda longtemps, attentivement, et il comptait les écailles des poissons et les boutonnières des pourpoints tandis que sa pensée vagabondait à la recherche d'Emma."

      

    [...] Le fiacre sortit des grilles, et bientôt, arrivé sur le cours trotta doucement, au milieu des grands ormes. Le cocher s'essuya le front, mit son chapeau de cuir entre ses jambes et poussa la voiture en dehors des contre-allées, au bord de l'eau, près du gazon. Elle alla vers la rivière, sur le chemin de halage pavé de cailloux secs, et, longtemps, du côté d'Oissel, au delà des îles.

     

    Mais tout à coup, elle s'élança d'un bond à travers Quatre-mares, Sotteville, la Grande-Chaussée, la rue d'Elbeuf, et fit sa troisième halte devant le Jardin des Plantes.

     

    - Marchez donc ! s'écria la voix plus furieusement.

     

    Et aussitôt, reprenant sa course, elle passa par Saint-Sever, par le quai des Curandiers, par le quai aux Meules, encore une fois par le pont, par la place du Champ-de-Mars et derrière les jardins de l'hôpital, où des vieillards en veste noire se promènent au soleil, le long d'une terrasse toute verdie par des lierres. Elle remonta le boulevard Bouvreuil, parcourut le boulevard Cauchoise, puis tout le Mont-Riboudet jusqu'à la côte de Déville.

     

    Elle revint ; et alors, sans parti pris ni direction, au hasard, elle vagabonda. On la vit à Saint-Pol, à Lescure, au mont Gargan, à la Rouge-Mare et place du Gaillarbois : rue Maladrerie, rue Dinanderie, devant Saint-Romain, Saint Vivien, Saint-Maclou, Saint-Nicaise, -devant la Douane,- à la Basse-Vieille-Tour, aux Trois Pipes et au Cimetière Monumental. De temps à autre le cocher, sur son siège, jetait aux cabarets des regards désespérés. Il ne comprenait pas quelle fureur de la locomotion poussait ces individus à ne vouloir point s'arrêter..."

     

    Rue du Petit Mouton

     

    Rue des Chanoines

     


    photos eva 
    © (Rouen, mai 2010)


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    bougeoir

     

     

    "Puis les paroles, après les baisers se précipitaient. On se racontait les chagrins de la semaine, les pressentiments, les inquétudes pour les lettres, mais à présent tout s'oubliait, et ils se regardaient face à face, avec des rires de volupté et des appellations de tendresse.


    Le lit était un grand lit d'acajou en forme de nacelle. Les rideaux de levantine rouge, qui descendaient du plafond, se cintraient trop bas près du chevet évasé : - et rien au monde n'était beau comme sa tête brune et sa peau blanche se détachant sur cette couleur pourpre, quand par un geste de pudeur, elle fermait ses deux bras nus, en se cachant la figure dans les mains.


    Le tiède appartement , avec son tapis discret, ses ornements folâtres et sa lumière tranquille, semblait tout commode pour les intimités de la passion. Il y avait sur la cheminée, entre les candélabres, deux de ces grandes coquilles roses où l'on entend le bruit de la mer quand on les applique à son oreille."

                                                                                              Madame Bovary (Gustave Flaubert)

     

    bougeoir a

     


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    43.Dunes de Merzouga

     

    "Le désert n'est jamais plus beau que dans le clair-obscur de l'aube ou du crépuscule. La notion de distance disparaît : une ride toute proche du sable peut être une chaîne de montagnes éloignée, chaque petit détail prend l'importance d'une variation capitale sur le thème répété du paysage. L'apparition du jour promet un changement, mais lorsqu'il a atteint sa plénitude, l'observateur le soupçonne d'être le même, revenu une fois de plus, ce jour qu'il a vécu et revécu, solitaire, ce jour aveuglant que le temps n'a pas terni. Kit respira profondément, considéra autour d'elle la ligne légère des petites dunes, l'immense et pure clarté qui se levait derrière la bordure minérale de l'hammada, la forêt de palmiers encore plongée dans la nuit, et elle sut que c'était un autre jour." 

     

    Paul Bowles (Un thé au Sahara, extrait)

    traduit de l'américain par H.Robillot et S.Martin-Chauffeur

    Edition Gallimard (l'Imaginaire)

     

    photo eva ©


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